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Le
non-évènement.
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Ce matin nous
faisons la une avec ce gros titre en pleine page :
SUICIDE COLLECTIF A LA FONDATION GELLIPANE, suivi d'un article
grand-guignolesque décrivant ce tragique fait divers.
L'artiste Manqué, un triste
sire de profession, a pris la tête d'un peu tout le monde mais aussi
celle d'un mouvement protestataire de grande envergure et de faible
intensité : les râleurs.
Galvanisés par ses discours incendiaires, tous les mécontents chroniques
et vacants des arts plastiques l'ont rejoint devant l'entrée de la
Fondation où ils râlent de concert, mais pas de plaisir. |
Manqué donne les démagogiques mots d'ordres avec son mégaphone cabossé
:
" Les artistes au pouvoir - nous sommes tous des artistes - expression
libre et gratuite - les artistes ... euh, les artistes avec nous ! "
Un programme
qui fait froid dans le cou et sur le ventre.
Tout le monde reprenait en
coeur les slogans sur l'air des lampions allumés quand un vaste filet
recouvrit la foule manifestante qu'il retint prisonnière de ses mailles
fines.
C'était un piège* de la redoutable N.B.A
(Nouvelle.Bureaucratie.Artistique) et l'artiste Manqué, un vilain
provocateur.
* piège : Pourquoi tant
de hainne envers ces innnocents (mais oui, pourquoi tant de n ?).
Pour faire baisser
les catastrophiques statistiques chômagesques.
" Un bon coup de filet,
apprécie Vil de Lyon en remontant le chalut, on en fera des conserves
de crabes, ho hisse, les artistes c'est comme les petits chats, bien mignons
mais il y en a trop ! ".

Mais un coup
de filet jamais n'abolira le hasard, enfin je crois.
Devant les caméras, notre directeur
assure avec dignité et juste ce qu'il faut d'émotion difficilement contenue
:
" C'est un véritable drame (sa gorge se noue) ... Mais si les
artistes sont prêts à mourir pour exposer à la Fondation Gellipane, ce
n'est sûrement pas sans raisons, sniff (il renifle). "
Pin-pou-pin-pou- une ambulance de location passe et repasse, à l'américaine.
" Nous ne voudrions surtout pas profiter de ces terribles circonstances
mais la vie continue et les affaires reprennent vite le dessous.
Le manipulateur
en action directe.
Ainsi l'exposition " Spiritout
" qui ouvre demain sera un vibrant hommage aux créateurs stériles, aux
éternels velléitaires, aux oeuvres panées (pardon, pas nées) et à ceux
qui ne les feront jamais, bref, à tous les impuissants du cerveau gauche.
Leur sacrifice (?) n'aura pas été inutile (?) ... c'est pour eux (il
montre le ciel, les caméras cadrent son doigt), pour eux, et pour vous
... "
Sa voix se brise, le comédien essuie une fausse larme, étouffe facilement
ses sanglots de circonstance avant de tomber dans les bras de miss Clitorini
qui ne s'y attendait pas du tout.
Notre directeur " craque " en direct et c'est beau, l'espace émotion.
En voilà de la bonne réclame.
" Mais
alors qui s'est suicidé ? " demande un témoin déboussolé.
" Personne, lui répond un témoin encore lucide, l'artiste se
croit juste maudit. "
" Ah bon ! "
Manqué continue seul
son itinéraire autodestructeur.
On entend plus
que ses malédictions répétées :
" Artistes épris de liberté, suicidez-vous tout de suite, n'attendez
pas que la société le fasse à votre place handicapée ! "
A une telle injonction, impossible de se soustraire, il s'exécute
donc (plusieurs fois !) mais se rate ; décidément quand rien ne
va ...
Et maintenant occupons-nous du cas Grossetête.
Le provocateur
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