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Exposer un artiste belge n'est
pas, de nos jours, sans poser certains problèmes.
Le désir de partition
qui semble avoir gagné tout le pays oblige, sous peine de véhémentes protestations,
à exposer un membre des deux communautés, soit un flamand et un wallon
et pour éviter toute friction de bien séparer
les deux entités.
Ce qui fût fait dans les locaux de la Fondation, sans faire plus d'histoires
belges.
Donc, nous aurons à ma droite, Migratte, un wallon bien gonflé et à ma
gauche, Van der Cool dit le " flamand rose " ; entre les deux, une frontière
imaginaire mais indispensable.

Migratte
a des lettres (géantes) c'est sûr, mais il n'a pas de boites assez
grandes.
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Commençons par le jeune
Migratte.
Celui-ci reste très attaché à sa terre natale qu'il emmène toujours
avec lui.
Comment ?
Simplement en en faisant une boule qu'il façonne et pousse devant
lui à la manière d'un bousier afrcain, ce qui n'est possible que
dans le plat pays qui est le sien.
Quand il doit voyager, ce moderne Sisyphe à l'horizontal envoie
sa terre par la poste sous la forme de lettres géantes qu'il affranchit
au tarif " lettre " ; c'est à la fois pratique, économique et discrètement
surréaliste.
Mais fragile car cette terre crue, seulement sêchée se brise et
retourne en poussière au moindre choc.
D'où le titre de l'oeuvre explosée :
" Lettre et le néant ".
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Sinon son installation a beaucoup
plu, et continuellement, comme là bas.
Migratte
a des lettres (géantes),
Van der Cool est un garçon méthodique et organisé, il répertorie les propositions
plastiques en circulation et se dépêche (mode oblige) de se les approprier.
C'est habile mais épuisant, l'entrée du tunnel institutionnel étant constamment
encombré par un embouteillage gigantesque de pseudo-nouveautés qui veulent
à tout prix y pénétrer (c'est dégoûtant votre histoire), certaines y parviennent,
d'autres piétinent sur place en implorant un peu d'attention avant que
leurs cris de détresse ne soient étouffés par l'arrivée des suivantes.
Van der Cool est donc un plagiaire, peu discret mais efficace : seul inconvénient
à cette pratique pratique, la crainte d'être démasqué. Van der Cool a
tout prévu, à ce moment critique, il parle de convergence et de hasard
objectif.
Dans le principe il a raison, les idées sont à tout le monde sinon à quoi
servent-elles ?

Entre
deux propositions empruntées,
van der cool répond aux mécontents.
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Pourtant, malgré
tous ses efforts, l'attention des visiteurs fût immédiatement
captée par la ligne tracée au sol afin de séparer l'univers
de deux artistes.
Elle semblait complètement fasciner tout le monde ; on parlait
à son propos de " radicalité ", " d'interface " et de " transversalité
" (encore qu'elle fût droite) ; on demandait qui était l'artiste,
on voulait l'acheter à n'importe quel prix.

L'extraordinaire
ligne et ses admirateurs ;
vraiment dans la post-modernité, il est difficile de ne pas
" faire oeuvre "
ou alors il faut se lever tôt et prévenir tout le monde.
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Cela fit réfléchir notre directeur,
pas longtemps car il était évidemment d'accord ; on chercha un titre,
un chauffard repenti proposa " La ligne blanche ".
" Mais elle est noire !" objecta un suiveur qui avait oublié de
laisser sa raison au vestiaire, comme les autres visiteurs.
" Justement !" en conclut notre rusé dirigeant.
Bien qu'ayant fait peu d'études, ce dernier avait compris depuis longtemps
l'importance du paradoxe* dans les débats abscontemporains.
* paradoxe : C'est LA nouvelle
forme de pensée, nous y sommes logiquement parvenus en épuisant verbalement
n'importe quelle autre proposition (un peu comme on fatiguerait un poisson).
Après avoir tout
dit, il ne reste plus qu'à se taire, ou dire n'importe quoi.
On peut aussi réfléchir à ce qu'on a déjà dit, mais c'est si ennuyeux.
Il est finalement préférable de commencer en disant n'importe quoi, le
risque est limité car l'audition imparfaite et la complaisance dilatée.
Nous sommes entre gens intelligents capables de goûter un paradoxe, même
de la veille ; le paradoxe, comme le boeuf aux carottes, étant encore
meilleur réchauffé.
Je viens d'en faire un, sans m'en rendre compte, comme une seconde nature,
c'est dingue.
Malgré le succès des lignes
blanches,
beaucoup leur préfèrent encore les courbes lignes bleues des Vosges.

Donc nous allions vendre cette ligne blanche, problème, qui n'était même
pas signée !
Avant de signer, il nous fallait un inventeur, le fameux créateur.
Paul le gardien mit une cravate une fois et posa pour la photo une autre
fois, il était ravi :
" J'aurais voulu être un artiste ... " nous confiait-il dans un
moment d'abandon.
Voila, c'est fait.
Van der Cool réapparut avec un gros pinceau et un seau de peinture blanche,
cherchant déjà sur le plancher l'emplacement de sa future ligne blanche
perso.
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La vente de la ligne
blanche apporta un prestige supplémentaire (celui du prestidigitateur,
de l'illusioniste) à notre dirigant.
C'était presque aussi fort que d'avoir sous-loué le Mont-Blanc,
avec la neige.
Partout on chantait
ses louanges.
Pourtant c'est à ce moment
où tout semblait marcher comme sur des boulettes qu'éclata le plus
grave conflit de l'histoire de la Fondation.
C'est assez normal car quand tout va déjà mal, on ne s'en rend même
pas compte.
La crise couvait depuis longtemps, la dévorante ambition d'Octave
des Obres en était la cause et le principal moteur à explosions.
Octave voulait être directeur à la place du directeur, Mordicus
ne l'entendait pas de cette oreille bouchée mais son récent succès
commercial l'avait conforté dans l'idée que son pouvoir, son autorité
étaient indiscutables.
Erreur qui faillit lui être fatale.
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L'offensive eut lieu lors d'une
banale réunion pseudo-organisatrice, typiquement le genre d'endroit où
il ne se passe jamais rien, c'était donc habile.
Ces jeux de pouvoir étant compliqués et fastidieux, nous les avons résumés
par des schémas tactiques.
Les
forces en présence.
MOR - Mordicus OdO -
Octave des Obres MIC - Miss Clitorini GMO - Guy Mollet PEL - Peldugland
DAB - Daniel Burin VdL - Vil de Lyon VdL - Vil de Lyon
On remarquera de suite
que Vil de Lyon est dans les deux camps à la fois (une stratégie
habituelle), ce qui aura une grande importance par la suite.
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L'attaque
surprise.
Fort de ses calculs qu'il
a plusieurs fois refaits, Octave des Obres est sûr de la victoire
; avec Guy Mollet, Daniel Burin et Vil de Lyon, ils sont maintenant
4 contre 3, majoritaires !
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La
défection.
Octave avait cru à toutes
les promesses et serments De Vil de Lyon, il ne fallait surtout
pas.
Dés le début du conflit, le traître professionnel changeait de camp,
bientôt suivi de Guy Mollet* puis de Daniel burin qui ne voulait
pas d'ennuis avec le pouvoir.
La fragile coalition improvisée s'était écroulée toute seule.
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* Guy Mollet : Ce
dernier n'avait jamais été partisan d'une quelconque aventure.
Seul le titre de " poète officiel ", habilement promis par Octave
des Obres en cas de succès, l'avait fait basculer dans cette dissidence
de salon.
La
soumission.
Octave est seul, il est
fou furieux : " Bande de lâches ! " crie t'il à ses ex-complices.
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Mordicus consent à pardonner
mais le révolté doit faire amende honorable.
Et c'est une terrible humiliation.

On fusilla juste quelques vacataires
en surnombre pour l'exemple (mais surtout par économie car les temps étaient
trop durs).
" On est vraiment loin du monde de l'art avec ces horreurs ! "
s'indignait une âme.
Loin de l'art, sans doute
mais pas du monde de l'art agité qu'il est en permanence par ce type de
conflits.
Allez, un peu de démagogie pour finir son pain.
Pourquoi nous racontez-vous cette sale histoire ?
Parce que vous avez le droit de tout savoir, et parce que vous le valez
bien.
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