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" Emballe-moi
Fondation Gellipane ! "
" C'est un bon titre, qui
plaira aux jeunes !" pensa tout haut Mordicus le directeur quand lui
fût proposé le projet de l'exposition
" Emballe-moi ! "
Nous étions beaucoup moins enthousiastes, pas à cause du sacro-saint "
principe de précaution " dont nous ne nous soucions pas mais parce que
monsieur et madame Pellicula sont de complets inconnus dans le monde de
l'art abscontemporain.
C'est bien normal car ils sont industriels, spécialistes du film plastique
qui a fait leur fortune et le bonheur des ménagéres du monde civilisé,
c'est à dire le monde de ceux qui possèdent un réfrigirateur.
C'est une fort honnète et rentable activité ; mais que venaient-ils faire
dans notre galère (pardon, notre espace culturel, sinon du profit, pardon,
du mécénat.
" Mais ne sommes nous pas
tous des artistes ? " dit en souriant bizarrement le directeur ; à
ceux évoquant un confit d'intérêts croisés ou un fumeux problème d'éthique,
il fût prestement répondu que les tiques, c'est bon pour les chiens et
le conflit pour les oies.

Afin
de prouver la résistance du film,
le couple de Pelicula s'emballe aussi.
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L'affaire était déjà
conclue, bien en aval.
Elle ne fût pas concluante pour autant si, dans un premier temps,
tout le monde trouva rigolo d'être transformé en salade verte ou
en bifteck à chier (pardon, haché), rapidement les premiers signes
d'étouffement se manifestèrent.
Il fallut interrompre l'expérience pour éviter des problèmes aux
asthmatiques et aux personnes zâgées.
N'importe, les époux Pellicula avait fait la preuve de la qualité
de leur produit, c'était une très bonne publicité et un bon retour
sur investissement minimum.
De plus l'art est bien mieux conservé dans le plastique.
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C'est
l'asphyxie générale,
le rouge apparaît au stade final.
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Interviewer Monsieur ou Madame
Pellicula n'est pas une mince affaire, isolés qu'ils sont dans leurs cocons
synthétiques.
Il faut y percer quelques trous afin d'établir le contact et malgré ces
perforations, on les entend à peine :
" Toc, toc, ohé les aristes, comment ça va ? "

Tels des
insectes sociaux, on s'agite autour des cocons.
Quelques vagues gargouillis
nous parviennent, inaudibles.
On doit encore faire des trous, des petits trous, toujours des petits
trous, c'est fastidieux et Peldugland en profite pour palper la rondouillette
emballée.
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Dans l'enveloppe on s'agite,
la prisonnière semble crier quelque chose, le plastichien se penche
pour faire semblant d'écouter.
" Que dit-elle ? " demande le chef.
Le menteur :
" Elle dit qu'elle est super-contente d'exposer à la Fondation
Gellipane. "
Quelques pincements supplémentaires,
la forme se tord dans tous les sens, on perçoit des hurlements étouffés,
enfin juste le haut des hurlements.
" Madame Pellicula espère revenir souvent ... Pardon ? "
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L'apprenti tortionnaire recolle
son oreille aux orifices :
" Quelle horreur, quelle horreur ... " répète une toute petite
voix exaspérée.
" Elle dit que c'est un grand honneur ! "
Le directeur en fût flatté :
" Elle a raison, expliquez-lui que l'exposition est prolongée d'une
quinzaine de jours, par faveur spéciale ! "
Dans le lointain, comme en sourdine, on perçoit vaguement :
" Bandes d'abrutis ! "
" Elle dit : Grand merci, à tous ... "
A leur sortie
de l'emballage, les époux Pellicula sont complètement dans les vapes.
Et tout couverts de boutons, quelle infection ! |
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Le directeur
les raccompagne gentiment et avec déférence jusqu'à la grille, histoire
qu'ils n'aillent pas se plaindre au syndicat des artistes dissociés.
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