JOURNAL D'UN PLASTICHIEN

Lundi 24 novembre

Plein emploi du temps

02 : 00

 

 

 

C'est souvent durant sa vingt-cinquième heure que le plastichien se dédouble, opération indolore que favorise le " sommeil efficace " et la digestion.
On se croirait au théâtre ce soir, une porte proche claque ... Peldugland fait son entrée, il est très beau mais aussi très en colère, il grince constamment des dents :
" Misère, misère, le chauffage est en panne d'une durée indéterminée, l'eau courante n'arrive plus, même en marchant ... De l'eau chaude ?
Ne rêvons pas trop ...
Sa vieille télé va exploser d'un moment à l'autre et les toilettes classées*
(de style Louis 13) sont devenues carrément dangereuses, surtout la nuit ... non mais tu t'es vu l'état des lieux ?
Froid, solitude et pauvreté, une vraie vie de Saint Ture* ! "

* classées : Au patrimoine mondial de l'inhumanité.

" Justement ! " reprit un maigre personnage dissimulé dans un coin d'ombre dont il ne sortira pas.
C'est saint Bernard (lequel bon sang !) qui apostrophe vertement le plastichien :
" Tu dois rester pur et sans taches, sinon de peinture, d'ailleurs tu devras remettre ta virginale enveloppe après usage pour un sérieux examen.
En attendant ce jour, le plus long, tu supporteras tout sans te plaindre et le travail sera ton unique joie, espérance, passe-temps, source fictive de revenus et soutien.
Signe ici !
"

Le saint lui tend un petit carton délicieusement ouvragé.

* Saint Ture : Il a maintenant son boulevard prostitutionnel, pas mal pour un ermite.

* Saint Bernard : De Miribel dit le Nouvel Observator à cause de sa vilaine habitude de se mêler de tout et en premier lieu commun, de ce qui ne le regarde pas.
Lui ne se gène pas pour regarder, surveiller, épier, rendre-compte et punir.

 

L'Aintrus

 

Le plastichien réfléchit longuement, il a déjà refusé dans la passé de conclure un pacte avec le diable (à des conditions peu avantageuses, c'est vrai), il demande quelques précisions :
" Et qu'est-ce que j'y gagnerais ? "
Silence méprisant.
" Serait-il possible, sans vous indisposer, d'en savoir un petit peu plus ? "
No comment.
Saint Bernard sifflote comme s'il n'avait rien entendu, il regarde distraitement le bout de ses ongles dorés.
Finalement le plastichien se décide, il paraphe vite, retourne le carton et lit ceci :
- Félicitations, vous avez gagné le droit de continuer, encore merci de toute vôtre âme
- La signature est énorme mais illisible.

Peldugland a la vague impression de s'être fait avoir, il fait plutôt grise mine.

" Fallait regarder avant de signer ! " lui fait remarquer sarcastique le saint homme en rangeant prestement le divin contrat dans son cartable en cuir céleste.
L'affaire est faite, le plastichien peut enfin se rendormir, difficilement car sa nouvelle auréole* le gêne un peu.
Franchement à qui se fier, de nos jours ?

* auréole : Les filles ont aussi des auréoles, mais juste sous les bras.

 

Ce que fait le plastichien à deux heures du matin
ne regarde que lui, malheureusement.

Contrat

Normalement le plastichien avait une semaine pour changer d'avis mais il ne le fit pas et n'en eut jamais l'intention car, même si sa situation était inconfortable (disette* matérielle, sociale et affective), il avait TOUT son temps.
Ce qui pour lui signifiait TOUTE la liberté possible.
Il ne demandait rien de plus, si, qu'on lui foute la paix sociale.

* disette : Toujours relative, le manque n'est pas l'absence, les vrais miséreux vous le diront.

 

 

 
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