JEANNE
Le 9 mai à Sarlatte-Ladérida

 

Sarlatte-Ladérida est un lieu improbable, c'est à dire qu'il aurait très bien pu ne pas exister sans que personne ne s'en rende compte.
Peut-être ses habitants, et ce n'est même pas sûr tant ils ont l'air préoccupé, quand ils ne sont pas au pré, occupés avec leurs placides vaches blanches.
Ce n'est pas grand (les panneaux d'entrée et de sortie y sont collés recto-verso mais ce n'est pas rien non plus, il y a même une petite tour au bord d'un torrent (nous y reviendrons !).


Il pourrait s'y soigner de sa déculottée chabossienne.
Mais il devait d'abord se racheter quelques affaires, il avait fait une petite liste : caleçons (fantaisie*), caramels mous (pour distribuer aux habitants) et capotes XXX à distribuer aux habitantes en oestrus déclaré, des rasoirs ... et du saucisson.

* fantaisie : C'est important la fantaisie (surtout dans les sous-vêtements).

Bertrand faisait donc ses emplettes au supermarché campagnard perdu au milieu des prés verts.
Comme le garçon ramenait le chariot à roulettes vide de sa voiture pleine (c'est le principe), il remarqua sur le parking une jeune fille toute auréolée d'invisible, assise sur une chaise cannée et qui tricotait avec ardeur.
Pendant que ses petites mains agiles continuaient leur ouvrage, la demoiselle tenait à l'évidence une conversation très animée.
Sauf qu'autour d'elle, il n'y avait personne.

Cela intrigua Bertrand qui voulût en savoir plus sur cette curieuse personne charmante quoique pauvrement vêtue.
Le vigile du supermarché lui apprit qu'elle s'appelait Jeanne, qu'elle était sans doute encore pucelle et qu'elle surveillait les caddies du magasin.
Plusieurs hommes avaient déjà essayé de l'approcher qu'elle n'avait pas remarqués, peut-être même pas vus.

Réflexions croisées

W.S.R :
" Tu n'as pas à avoir de scupules.
Tu sais que tu dois oublier le passé. "

Jeanne :
" Combien de fois m'as tu dit ensuite, que cela avait été merveilleux. "


Le garçon avait sa petite idée pour entrer en contact avec la jeune fille, il lui suffirait, pensait-il, de se mêler à l'éthérée conversation afin d'en profiter pour lui conter fleurette.
Et laisser cette chère Dame Nature* s'occuper du reste, c'était optimiste.

* Dame Nature : La tenancière de ce lieu commun.

Il engagerait un trio d'anges musiciens car la douce musique adoucit souvent les bonnes moeurs.
On fera le plein des lyres, oui, tous à la lyre car depuis Elodie les violons percent son coeur d'une longueur trop monotone.
Mais d'abord il lui fallait savoir de quoi Jeanne pouvait bien parler.
Et avec qui ?

Pendant la courte pause des employés, il alla se cacher parmi les caddies vides et ouvrit ses grandes oreilles. Jeanne revint s'asseoir et reprit son tricot, et sa logorhée solitaire.
Bertrand ne comprenait pas tout, en fait il ne comprenait rien, c'était très théologique et compliqué, plusieurs voix intervenaient, celles de saints personnages apparemment qui n'étaient pas toujours d'accord et discutaient sans fin de problèmes abstrus.
Il s'ennuyait beaucoup et plusieurs fois piqua du nez car il faisait horriblement chaud sur ce parking où le bitume commençait à fondre et lui coller aux genoux.

Première tentative

Pour donner plus de poids et d'autorité à sa parole, il décida de se faire passer lui aussi pour un saint, juste pour quelques secondes.
D'une voix forte et grave il articula lentement :
" Jeanne, ma soeur, rendez-vous à dix-huit heures devant la tour au bord du torrent, viens sans ton tricot, s'il te plaît, ah oui, j'oubliais, je suis Saint Bertrand ... "
La jeune fille parut surprise, un peu méfiante elle demanda :
" Saint Bertrand d'accord, mais lequel ? "
Bertrand eût un moment de panique, il balbutia :
" Saint Bertrand ... de ... de Miribel ! "
" Connais pas ! " répliqua la pucelle en colère avant de se lever pour aller ranger les chariots vides et abandonnés de partout.

" C'est ce qu'on appelle un râteau ! " se dit Bertrand en souriant jaune car il fumait trop.
Une heure plus tard, il revenait à la charge, en ayant changé de voix (mais pas d'intentions), cette fois le garçon se voulait féminin :
" Jeanne, ma petite Jeanne, c'est ta soeur qui te le demande, qui te supplie d'aller devant la tour au bord du torrent, tout de suite, s'il te plait ! "

" Ah ma soeur, je suis bien aise de t'entendre ... répondit suavement Jeanne ... rappelle-moi donc ton prénom ? "

Long silence (Cristal ou Mireille, c'était pourtant facile !)

" Non, tu n'es pas ma soeur - qui nésit tére à peute - (très vieux français) ! "

" Ah, la gueuse, elle évite tout mes pièges ! "

Bertrand rageait, mais il était tenace et il décida de faire une dernière tentative.
Cette fois il y mettrait les grands moyens et les bouchées doubles, il se ferait passer carrément pour Dieu, elle ne pourra pas quand même lui résister, à lui !
Il avait juste le temps d'aller au supermarché pour s'approvisionner en pétards, feux de Bengale, paillettes et confettis électroniques.

Toutes choses indispensables pour donner à son apparition toute la solennité nécessaire.
Une fausse barbe en sopalin et cerise sur ce gâteau faussement divin, une auréole clignotante des plus convaincantes.
Il faisait un Dieu très acceptable et il en fût rassuré, car il vit que tout cela était bon.
" Jamais deux sans trois ma petite Jeanne, à nous dieux ! (pardon, deux) "

 

Le Grand Jeu avec sons et lumières, quel éblouissement !
Personne ne peut résister ...

Bertrand reprit sa place entre les caddies puis il alluma toute sa phlogistique d'un coup avant de se redresser au milieu des explosions :
" Jeanne, cette fois c'est Dieu qui te parle, vas-tu enfin te décider à aller devant la petite tour au bord du torrent, pas le petit pont de bois près de la rivière ou la petite maison dans la prairie, la petite tour au bord du torrent, tu te rappeleras ? "
"Oui. " répondit simplement la pucelle.
" Disons dans un quart d'heure, c'est o;k ? "

Jeanne semblait contrariée :
" Bon d'accord, mais juste un moment car j'ai encore mes caddies à compter et mes moutons*à traire ... "

Eclairs, pétarades et feux de Bengale, tout ensemble. "
On en a rien à braire des moutons, mets-toi en route sans attendre ... et plus vite que ça, c'est qui le patron ? " asséna Lapin.Blanc.Rapide.
Maintenant c'était le Grand Jeu, on ne riait plus.
" C'est vous indiscutablement ... j'arrive de suite ! " répondit la Jeanne enfin soumise.
Réintégrant vite fait son humaine condition, Bertrand s'ajouta plus doucement :
" Ouf, c'est gagné, vive Dieu, vive moi et vive l'amour, toujours ... ah que ça sent drôlement le roussi par ici ? "

La divine colère

Bertrand était en feu, sans doute un pétard mal éteint, il n'eut que le temps de retraverser le parking en laissant derrière lui un èpais panache gris, semant des cendres froides et des paillettes dorées entre les rangées d'automobiles.


Avant de sortir de son coffre un providentiel extincteur.
Un rouge, aux normes, petit et maniable.

PSHTTTT !

Pendant ce temps là Jeanne filait tranquillement sa quenouille.
" Et ma queue, nouille ! " fulminait Bertrand sous la mousse qui se désagrégeait.

" Grrr ... encore raté, mais je l'aurais un jour ... " répétait-il, toujours fumant " à moins qu'elle ne soit réellement protégée ?"

 

Jeanne devant la tour au bord du torrent.

 

" Bonjour Père Noël ! " lui criaient les enfants excités, car pour eux c'est tous les jours de fête.
On applaudit à l'animation supposée commerciale.
Le directeur lui proposa même de venir le lendemain, recommencer son numéro.
" Et pourquoi ne pas faire le pitre pour de vrai ? " s'interrogea un instant le faux dieu.
Son auréole clignotait toujours au milieu du parking vide.
Au pied du torrent, au bord de la petite tour, Jeanne attendait sans s'inquiéter.
Elle ne s'ennuyait pas car elle avait déjà trouvé à qui parler.
Et si Dieu ne venait pas ce soir, c'est qu'il avait ses raisons.
C'est la force des coeurs simples de ne jamais s'étonner.
De rien. Bertrand analysait froidement les raisons de son échec :
" Cet amour m'a complètement enflammé, mon coeur en est tout roussi ... je prends feu comme de l'amadoudou, trop facilement ... "
Il n'aurait pas toujours un extincteur sous la main.

 

Jeanne et la cane de Jeanne.

 

Aperçus

A Sarlatte-Ladérida
On danse la dérida
Jusqu'à l'épuisement des quilles

 

 

 

 
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