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PRUDENCE
Le 6 mai à
Ralies-du-Béarn

Sur la minuscule
place de Ralies-du-Béarn un petit groupe était rassemblé avec cordes,
crampons, mousquetons et piolets pointus.
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Par pur
désoeuvrement, Bertrand s'était joint à eux, on faisait l'appel
(de la montagne ?).
" Ramasselegui ? " - " Présent ! "
" Dansedesaintgui ? " - " Présent ! "
" Jaimepasnagui ? " - " Présent ! "
" Jemapellegui ? ... Jemapellegui ? ... "
" Présent
! " répondit Bertrand.
Pourquoi ce garçon s'amuse t-il à prendre la place d'un autre, vu
qu'il déteste l'altitude et qu'il est sujet au terrible vertige
depuis tout petit.
Pourquoi ?
La réponse est simple, il suffit de chercher la femme.
Nous l'avons vite trouvée, et lui aussi.
Elle se
prénomme Prudence et exerce le dur métier d'infirmière dont elle
oublie les containtes et les vicissitudes en courant la montagne
durant le week-end.
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Ce qui explique l'intérêt soudain de Bertrand pour les sommets enneigés
et l'usurpation d'identité qui lui fit se retrouver attaché à une cordée
d'amoureux du vide.
Il enfonça son béret tout neuf sur les yeux pour ne pas voir en bas et
suivit le mouvement, préférant fermer la marche car ses mocassins de ville
l'handicapaient terriblement sur les instables rochers, il se fatiguait
vite.
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Un spectacle
inoubliable qui est resté imprimé sur la rétine du biquet.
Depuis, il aime
la montagne.
Mais ce
qui le consolait de tout ses efforts et qui lui faisait accepter
ses souffrances pyrénéennes le coeur léger, c'était la vue du formidable
fessier de Prudence qui changeait de forme et de volume sans cesse
au gré de l'effort et de la pente.
" Ah quelle belle vue ! " s'extasiait-il avec régularité pour dire
comme les autres, et parce qu'il le pensait vraiment.
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Guidé par ce
cul magique et bondissant, Bertrand continuait son ascencion quasiment
à l'aveuglette, de plus, il bandait comme un chamois* en rut (l'altitude
?) ce qui le gênait dans sa marche, et n'améliorait pas son équilibre.
* chamois : Un isard
dans les Pyrénées, qu'importe, si Bertrand avait eu tout le comportement
de cet agile ruminant, il aurait du aussi sortir et agiter sa grosse
langue pour capter les excitantes phéromones négligemment laissées,
accrochées aux herbes du sentier, par celle qui le précédait.
Ce qui n'aurait
pas manqué d'étonner ses halés compagnons de cordée.
Le monde de l'alpinisme est si conservateur.
L'ivresse
de l'altitude.
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L'accouplement
?
La bête en lui en rêvait.
Mais pas question de se jeter la tête en avant contre ses rivaux potentiels,
il n'aurait pas les os du crâne assez solides pour résister aux redoutables
et répétitifs chocs frontaux.
Et puis il n'avait pas de cornes ... pas encore, il releva la tête.
C'était vraiment vertigineux, comment ne pas la suivre ?
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" Donnez un peu de mou
Bertrand ! "
" Divine Prudence, je fais ce que je peux ! "
Enfin, ce qui devait
fatalement arriver, arriva :
" Aie, ouille ! "
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A force de ne
pas regarder où il mettait les pieds, Bertrand chuta sans élégance et
se tordit la jambe.
Il venait de se faire une bonne entorse et la douleur ne tarda pas à se
manifester.
Mais quand les douces mains de Prudence palpèrent sa cheville endolorie
qui avait entre temps doublée de volume, Lapin.Blanc.Rapide faillit s'évanouir
de plaisir et en eût le poil tout hérissé.
A l'évidence, il ne pouvait pas continuer dans cet état mais les autres
alpinistes voulaient à tout prix poursuivre leur escalade.
Bertrand (alias Jemapellegui, rappelons-le pour ceux qui ont du mal à
nous suivre dans notre randonnée) proposa de se poser dans une bergerie
voisine avec quelqu'un (plutôt une) pour veiller sur lui en attendant
qu'on vienne le secourir.
" Mais qui va rester ? " s'interrogea inquiet le choeur des montagnards
que l'invincible attrait des hautes cimes venteuses tenaillait.
" Moi ! " répondit simplement Prudence qui avait bon coeur, de la conscience
professionnelle et sa petite idée derrière la tête.

Quand la
nuit vient, la montagne vous fait peur ... juste pour s'amuser.
Pendant
ce temps, Bertrand massait son pied enflé et bleui en chantonnant
: " Dear Prudence ... "
Cette dernière ne s'affolait pas, elle venait d'allumer deux bougies
et aménageait le mieux possible leur abri provisoire, l'atmosphère
était ... pastorale, on se serait cru dans la crèche.
La jeune
femme s'approcha de la minuscule fenêtre : " Il va bientôt faire
nuit -bèee- et le temps n'est pas bien beau, il va falloir rester
ici et tenter de redescendre demain matin pour aller à l'hôpital
... "
" - bèee - C'est vraiment dommage ... approuva Bertrand avec son
air le plus désolé.
Que contredisait complètement la lueur de coquinerie de son regard.
"
On pourrait faire du fromage ! " proposa la nouvelle bergère au
néo-accidenté.
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Réflexions
croisées :
W.S.R
:
" Que veux-tu dire ? "
Prudence :
" Tu trouves que j'en demande trop ? "
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Le garçon ne répondit
pas (il n'aimait que le petit-lait aigre-doux), il se massait la
cheville, simulant par de petits gémissements et de douloureuses
grimaces, une vraie souffrance, virilement contrôlée.
Au dehors il faisait
froid et sombre mais le génie des alpages veillait maintenant sur
eux.
Ainsi que Vondaire-Woman, toujours ponctuelle, dont le vaisseau
spécial à taille fine passait devant la lune blafarde.
Juste le temps d'entrevoir par le hublot la silhouette replète,
devenue familière à Bertrand.
Ce soir il faudra prendre certaines précautions ...
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Prudence revint
s'asseoir, la lumière des bougies l'enveloppait d'une aura doré, Bertrand
lui prit la main :
" Chère Prudence, ce sera notre -bèee- petit secret ... "
Il lui prit l'autre main : " Notre petite aventure dans la petite bergerie
dans la grande montagne..."
Dans un soupir, Prudence dit : " D'accord ! "
Comme il n'y avait plus de mains disponibles, Bertrand lui prit autre
chose. -bèee-bèee-béee-béee-bèee-
Au programme, escalade, grimpette et vertigneux frissons, mais allongés.
Sans tout cet encombrant matériel.
Et surtout sans risque de chutes -bèee- sinon de reins... chut, il souffla
la dernière bougie. -bèee-bèee-béee-

Prudence
au réveil, elle n'est vraiment pas frileuse !
Le lendemain matin aux urgences nos deux rescapés des cimes restaient
volontairement évasifs sur les circonstances exactes de leur mésaventure.
" Il faudra bander fort monsieur Lebiquet, et ça passera vite ! " expliquait
à Bertrand une robuste aide-soignante en lui entourant la cheville.
" C'est entendu, j'y veillerais ! " répondit le garçon hilare.
Comme toujours tout le monde était très gentil dans cet hôpital.

Les sympathiques
infirmiers
Sauf le grand
Bruno Jemapellegui (le vrai), le fiancé officiel de Prudence qui restait
perplexe :
" Mais qu'est ce que vous avez bien pu faire la haut pendant huit heures
? "
" Euh ... on a compté les moutons, mon chéri ..." expliquait vaguement
Prudence "
... il y en avait beaucoup ! "
Bertrand fixant son pied gonflé décida de changer de sujet et se fit poète
des cimes :
" Pourtant avec ses frais nénés blancs (" Frais névés ! " le corrigea
Prudence), ses fines crevasses où s'engouffre ... le vent ! (souffla le
vent).
Et ces marmites qui sifflent partout ... (Ces marmottes, Bertrand !)
Sans oublier les vaillants conifères, toujours là quand il faut !
On n'y manque vraiment pas d'aplombs ... "
Puis il se dit qu'il
ferait mieux de se taire.
Et de chercher sa carte VITALE ; s'il ne voulait pas débourser à nouveau.
Bertrand franchit en
clopinant les portes coulissantes du centre hospitalier de Ralies-du-Béarn.
Prudence l'accompagne ; dans sa blouse blanche impeccable, elle
est la parfaite incarnation de cet être si totalement fantasmatique
: l'infirmière.
Notre lapin boiteux en
est friand car, bien que rarement malade, il souffre (silencieusement)
d'un manque chronique d'affection, et d'attentions.
Il aime donc à ce qu'on s'occupe de lui, gentiment, et ce qu'il
préfère c'est qu'on lui passe de la pomade ; cette fois c'était
vraiment le pied.
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Devant l'accès
aux urgences, le garçon se retourne et fait discrètement le signe du bélier.
D'une seule main, pour ne pas tomber.
La fille imite la brebis, une dernière fois.
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Aperçus
A Ralies-du-Béarn,
j'aime bien
Tes moutons tondus
Moins mes dindons, pourquoi ?
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