VERONIQUE
Le 17 mai encore à Dègles (le Vieux)

 

Au quotidien, la compagnie d'une fée facilite bien les choses.

Ce n'était pas dans les habitudes de Bertrand de s'attarder ainsi deux jours au même endroit.
Pas vraiment le même, car ce matin il était à Dègles-le-Vieux où il pétait beaucoup (sans doute un reste du cassoulet de la veille).

Il s'était mis dans le sens du vent et réfléchissait, l'air romantique.
Car il est plus facile d'avoir l'air romantique dans le sens des vents, c'est un vieux truc.
Il faut aussi avoir le front dégagé (c'est bien pour réfléchir).
Et se sentir triste, mais on n'est pas obligé.

Tout en écrivant un petit mot de sincères remerciements à Morgane, le lubrique lapin lorgnait déjà sur la minuscule Machine, sa meilleure copine.
A l'inverse de sa grande amie, Machine était toute petite, un vrai modèle réduit ; en la faisant tourner sur ses genoux, le garçon constatait émerveillé :
" Elle a tout d'une grande ! "

Même carosserie, même chassis, même motorisation, même quadruple airbag de série heureusement non limitée (deux à l'avant, deux à l'arrtère), mêmes finitions parfaites et, cerise sur ce gâteau moelleux, un large coffre ce qui était parfait pour Bertrand qui avait un lourd* attirail à fourrer dedans.

* lourd : Il n'y a pas que son attirail qui est lourd !

Le terrible contrôle technique, Bertrand (au centre) et ses asssistantes ne laissent rien passer.

Prise " Oui-oui " ET dégivrage automatique (c'est parfois nécessaire), bien sûr, il suffit de trouver et d'appuyer sur le bon bouton.
Erection assistée, sièges-culbuteurs " Dernier Cri " et radar de recul (pour les adeptes de la marche arrière).
Tout l'arsenal.
" Une bonne occase ! " appréciait-il en connaisseur.
Bien sûr, comme rien n'est jamais parfait, il y avait bien quelques défauts :
" L'arrière est un peu bas, et ici c'est un peu trop large ... mais j'adore les enjoliveurs ! "

Réflexions croisées

W.S.R :
" Tu parles ! Au premier coup d'oeil ! "

Véronique :
" Que vous est-il passé par la tête de venir ici ? "

 

Véronique est une habile manipulatrice, Bertrand se laisse volontiers faire.

Dans l'ensemble il était ravi de sa future acquisition, enfin ce n'était pas encore fait, il fallait passer l'ultime contrôle (bien vérifier les suspensions !) et contracter l'obligatoire assurance, d'être satisfait ou remboursé.
Il essaya de négocier satisfait ET remboursé mais il ne faut pas trop prendre les femmes pour des idiotes.
Rarement satisfaites mais jamais remboursées.
" Allons bon, il achète des filles maintenant, quel salaud ! " protesteront les féministes survivantes qui liront cette histoire.
En fait c'est pour rire, c'est juste une façon de raconter qu'il suppose humoristique ; maintenant si vous prenez tout au premier degré, cette fantaisie n'est pas pour vous.
Et s'il pouvait vraiment acheter des filles, qui vous dit qu'il ne le ferait pas ?
Sûrement pas lui.

Il faut compter dans les combien ? ======== Pfff ! Et si on en prend plusieurs ? =====, === Douze ... ça fait beaucoup ! ====== Ecoutez, je vais en acheter une pour commencer ! ==== Oui, par carte bleue ... ==== dans les 48 heures, et sans même un questionnaire de santé ? Formidable ! === Merci, pareillement ! Et voila !
" Ah zut, j'ai oublié de préciser l'âge ! "


Une commande en souffrance.
Et vous trouvez ça drôle ?

Où en étions-nous ?
Toujours à Dègles-le-Vieux, semble t'il, et avec Machine, semble t'elle. Machine c'est son surnom, son vrai prénom c'est Véronique et son nom :
Condation*.

* Condation : De Lyon c'est entendu, mais laquelle des deux fées Condation : Inevitro ou Inutéro, sa soeur ?
In petto, je m'interroge, nous aussi.

 

Malgré sa féerie naturelle,
Machine est une femme
comme les autres.

 

Qu'importe après tout ses orgines, Machine était une vraie fée et Bertrand s'en aperçut rapidement.
Mais pas une fée du logis, et de cela aussi il s'en rendit vite compte en arrivant chez elle, sur sa vieille péniche amarrée Quai des Iconoclastes.

La péniche encombrée.


Dés l'entrée maritime étaient accrochés partout des t-shirts avec de grands visages imprimés sur les deux faces, à intervalles réguliers ressortait de la cale une personne détendue au visage totalement effacé.
Dans d'immenses bassines en plastique jaune, d'autres t-shirts trempaient dans un bizarre et poisseux mélange qui sentait fort l'ammoniac.

Une imprégnation en cours.


" Un enduit spirituel ! " expliqua t'elle vaguement, elle avait un procédé magique pour le fabriquer.
Magique et surtout facile, après cette macération, il lui suffisait de poser le tissu sur la face prévue et l'image s'y fixait immédiatement.
" Par l'opération du Saint-esprit, sans doute ? " railleront les sceptiques, les autres constateront et apprécieront juste le résultat.
" Pourquoi tirer seulement le portrait ? " se demandait Bertrand qui parfois fonctionnait à vide.
Il buvait une biére bien chaude* dans la cabine de " La courageuse "; sur le pont, la petite Machine, aussi hyperactive qu'une souris, préparait sa foire du lendemain.

* chaude : Dite " bière de plage " après leur longue exposition au soleil, elle mousse terriblement (pas comme certaines) et vous fait les yeux bridés.

 

Ces prises d'empreintes faciales demandaient de longues et fastidieuses préparations que la fée élaborait patiemment sur la passerelle (à cause de l'ammoniac) en écoutant des cassettes de rock n'roll mops sur son antique appareil.
Une opération en cours.

Ni détournements, ni falsifications ces indolores opérations avaient un franc succès, surtout depuis que les " effacés " pouvaient remplacer leur défaillante identité par celle de leur rêve, qui ils auraient voulu être, dans une vraie vie.
Un procédé que Véronique venait de mettre au point, enfin presque*.

* presque : Quelques inversions apparaissent parfois introduisant un peu de fantaisie dans cette systématique reproduction.

 

Attention, les transferts de personnalité ne sont pas sans dangers, demandez donc à la mouche !
Bzzzzzzzzz

Et au champion cycliste.
Bertrand regarda attentivement ce que faisait la magicienne mais il n'y comprenait pas grand chose.
Il but une gorgée chaude avant de faire un croquis :
" C'est bon mon schéma ? "
Because the beer, Bertrand se leva pour uriner longuement par dessus bord.
Il eut tout le temps de regarder son ... reflet.

Replet, il s'était refait une santé ; comme d'habitude il ne se reconnaissait pas, ou plutôt il reconnaissait son sexe mais pas lui.
Bizarre, bizarre...

 

L'installation réflexive (dessin original).

 

" Ohé du bateau ! "
Un nouveau client venait se faire défigurer, et puis configurer.
Le lapin marinier stoppa net sa contemplation et rangea son instrument.
" Bonjour madame, je viens de la part de James Bean, je voudrais devenir Humphrey beau gars, c'est possible ? "
" Pas avec votre tête! " répondit la fée qui savait être franche.
" Je vous propose plutôt Franck Einstein ... sur la plage ! " ajouta la bonne commerçante.
" Vendu ! " conclut l'homme qui voulait changer sa face du monde.
Véronique était contente, elle retourna la cassette :
" Ground control to major Tom ... "

C'était souvent les mêmes têtes qui lui étaient demandées, les inusables et incontournables : Sois franc Zizou ! , Marylin ma copine, Ah Che Guevara ?, Bob Marley-Davidson, Lady Didi lay, Adolf Hitler* voire le lapin crétin lui-même.

* Hitler : Là Véronique refusait estimant (non sans quelques mauvaises raisons) qu'il y en avait assez d'un.

 

Transfert en cours par glissière supérieure.

 

Ce qui finissait par agacer, et surtout inquiéter, l'iconophage : si peu de gens semblaient contents d'être seulement eux-mêmes.

" I can't get know, satisfaction ! "
Ou seulement content d'être quelque chose ?
" And I try, and I try ... "
Ou juste d'être ?
" I can't get know ! "

Pour plus de sûreté, Bertrand se fit faire un T-shirt à son effigie, il avait ainsi plus de chance à ressembler à son idéal : " le titubaire " lui-même ?

Après sa Xième " bière de plage ", le titubaire était fin prêt pour le dédoublement (dans son cas, c'était plutôt un rassemblement).
" A midi, je ferais une bonne quisse ? " suggéra l'officiante en pataugeant dans son produit miracle avant d'aller retourner la cassette.

Sans doute d'ascendance lusitanienne, Véronique n'arrivait pas à dire " péniche ", elle prononçait toujours " pénisse " ce qui amusait beaucoup Bertrand (même s'il est le seul) :
" Il faut bien amarrer la " pénisse " !
Qu'elle est longue cette " pénisse " !
Une " pénisse " comme ça, il y'en a pas deux ! "
Sur l'eau on s'amuse d'un rien.

L'infatigablee fée gagnait sa vie en vendant ses textiles " iconiphiées" (un mot de son invention) sur les marchés environnants.
On pouvait la voir passer au volant de sa vieille camionnette verte sur les côtés de laquelle Machine avait peint* en grandes lettres argentiques ces tapageuses réclames :

 
  CHEZ VERONIQUE
vous n'oublierez plus votre face cachée !
De derrière vous êtes encore plus beau !
Merci VERONIQUE !
ICONISSIME !
Le petit linge de Véronique !
 
 

* peint : Car sa imprégnattion ne marche pas sur tout les supports, surfaces, vitres ou carrelages.

 

La camionnette c'est juste pour le commerce,
pour ses déplacements Machine circule dans sa bulle,
comme une fée normale.

En attendant chez elle c'était un vrai bordel, Lapin.Blanc.Rapide dont les terriers successifs étaient loin d'être irréprochables s'en moquait complètement, il était juste content d''être là.
Mais ce n'était pas de tout repos car son hôtesse était une farceuse, une faiseuse de blagues pas toujours amusantes ... pour lui.
Ainsi quand arrivait un client pour se faire " empreinter ", elle changeait Bertrand en poisson-chat et le plongeait dans la boue, le temps que durait l'opération.
La terreur du garçon était de réapparaître avec une tête de silure albinos.

Car Machine était très forte dans son genre féérique, maintenant elle appelait Bertrand :
Machin*, et ne cessait plus de le transformer au gré de sa fantaisie ou de ses besoins domestiques (ou érotiques).

* Machin : Car on ne doit jamais dire " lapin " sur un bateau.

 

Après transformations électro-ménagères : un parfait homme d'intérieur, un magasin des accessoires à lui tout seul..
" Alors mesdames, pour un intérieur toujours bien entretenu, prenez l'homme d'intérieur, discret, peu salissant, adaptable, sobre et donc E.CO.NO.MIQUE ! "
Plus économique tu meurs !

Le garçon râlait un peu car il faisait tout dans la " pénisse ", de la soute au faux-pont.

White Speed Rabbit devint ainsi successivement presse-purée, micro-ondes, moule à gauffres, sêche-cheveux puis vibromasseur.
" Machin par çi, Machin par là ! "
Il en vibrait encore quand Machine lui proposa de faire trois voeux.
Bertrand s'essuya le visage et réfléchit, longtemps, car il faut être prudent avec les créatures surnaturelles.
Il fit tourner lentement sept fois sa langue dans la toute petite bouche de Machine avant de répondre :
" Premier voeu : je voudrais être invisible demain, cest possible ? "

La cérémonie des voeux.
" Chic ! ... mon deuxième voeu : j'aimerais vendre beaucoup d'extincteurs, sans me fatiguer.
Ainsi on me prendrait un peu plus au sérieux.
Combien ?
Disons deux mille, d'ici deux jours, en liquide, d'accord ? ...
Ouais, vive la magie ! "

Le troisième voeu, il le dit doucement à l'oreille, la fée en rit beaucoup et en rougit un peu.
Car ce n'était pas un voeu de chasteté, du tout.
Machine promit d'excaucer tout ses voeux, et elle satisfit de suite son voeu le plus chair.
Elle lui donna aussi un t-shirt à son effigie avant de lui offrir une dernière bière de plage.
Que demande le peuple ?
Rien, malheureusement.
" Au revoir Machin, reviens me voir sur la " pénisse " quand tu veux ! "
Pour devenir un autre ?

 

Aperçus

A Dègles (le Vieux) on naît
Pas des pneus
Nom de lieu commun !

 

 

 

 
Pour revenir à la page d'accueil