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IRENE
Le 5 avril à
Montpanier

Comment ne
pas devenir folle ?
La journée avait
bien commencée pour Bertrand, il avait déjà vendu deux systèmes d'alarme
anti-incendie à la même personne en se faisant passer pour son propre
concurrent.
L'occupante de
cette grande maison n'était pas dupe, elle avait parfaitement reconnu
Bertrand derrière ses fausses moustaches mais Irène s'ennuyait toute seule
et se sentait comme prisonnière dans cette immense bâtisse déserte, et
surprotégée.
Elle en parcourait tel un fantôme les couloirs, de jour comme de nuit
car cette exixtence de recluse de luxe lui avait déjà fait perdre le sommeil
avant de certainement bientôt lui faire perdre la boule.
Alors elle s'ouvrait
une petite bouteille de n'importe quoi, à n'importe quelle heure, comme
ça, pour se désennuyer un peu car dans cette maison sophistiquée, la domotique
s'occupait de tout, Irène n'ayant strictement rien à faire.
Sinon fixer les tableaux clignotants.

Irène plane
sur des vapeurs alcoolisées à travers la maison vide. .
Ce jour là, elle avait déjà ouvert et vidé plusieurs flasques mais elle
s'ennuyait* toujours.
L'arrivée impromptue de Bertrand l'avait tirée (n'allons pas si vite !)
de son marasme programmé.
* ennuyait
: C'est caractéristique, les femmes semblent souvent
s'enquiquiner.
C'est une pose, ne vous-y fiez pas ; et surtout n'imaginez pas que vous
puissiez y faire quelque chose, là est le piège.
Lapin.Blanc.Rapide n'avait
pas non plus sonné deux fois par hasard (comme le facteur), son
instinct de chasseur l'avait bien averti :
cette aristocrate toute blanche, isolée et désolée était une proie
idéale pour cet imaginaire prédateur.
Irène
:
" Asseyez-vous,
ce n'est pas la place qui manque ... "
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Ils étaient dans
l'immense " pièce à vivre " où personne ne venait jamais, ils y burent
quelques whiskys bien tassés.
A l'audition des malheurs de la jeune femme, le reste de sang bleu de
Bertrand ne fit qu'un tour.
Puis un deuxième tant il était révolté par la triste existence de cette
recluse qu'un mari affairiste et trop affairé délaissait si lamentablement.
" Tant pis pour lui et tant mieux pour moi ! "
Il enlèverait Irène-Claude de Monpanier-Fleury de nuit, comme dans un
vrai roman de cape et d'épée.
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Quand l'obscurité fut
enfin venue, Bertrand revint sous les fenêtres de la belle et contrefit
trois fois le cri du pélican frisé, comme prévu dans leur plan d'eau.
Irène vint le rejoindre en prenant mille précautions inutiles (vu
qu'ils n'étaient que deux) mais indispensables pour mieux connaître
et apprécier l'aventureux frisson.
Ils s'envoyèrent un autre whisky, Bertrand eut alors beaucoup de
mal à dissuader la jeune femme de descendre avec une corde le long
du haut mur de pierres.
Ce faisant, il déclencha
par inadvertance le mécanisme du pont-levis factice qui ne cessa
plus de monter et descendre avec un bruit désagréable de chaînes
plastiques.
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Les fausses torches projetaient en sifflant une lueur orangée, sur deux
rangées.
Le garçon cherchait désespérément à stopper ce vacarme, voyant un autre
boitier, il croit avoir trouvé et appuie sur les boutons.
Cette fois toute la maison se met à vibrer, les stores métalliques s'ouvrent
et se ferment, les portes claquent, toute la hi-fi est à fond, les robots
ménagers s'entretuent, un foin monstre !
Irène riait comme une
dingue car elle aussi disjonctait ... disjoncter !
Voila la solution, Bertrand se précipite pour couper le jus, le
flux vital et énergétique du monstre domestique, l'électricité.
Enfin tout s'arrêta, et le calme revint sur la nuit étoilée.
Bertrand
:
" On pourrait baisser les lumières ? "
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Irène était cavalièrement
magnifique en Milady pompette, elle parut cependant déçue de ne pas voir
de chevaux frémissants prêts à les emmener au galop, elle suggèra alors
à son vil suborneur d'exercer sur elle quelques violences factices.
En grognant d'un air rageur, il lui déchira son mouchoir.
" Mon carosse est caché en haut du chemin, vous êtes perdue Irène de Montpanier-Fleury,
arf, arf, arf ! ", c'était un ricanement démoniaque et tandis qu'elle
se ligotait, il la pinça plusieurs fois sur une de ses nombreuses parties
charnues ; cette nocturne équipée l'excitait diablement.
" Surtout pas de noeuds coulants ! " exigeait la ci-devant déglinguée
de son cavalier à pied.
" Mes pareils à deux fois ne se font point connaître ... répliqua Lapin.Blanc.Rapide
travesti en étroit mousquetaire... voila un vrai noeud de marin ! "
Et il n'en était pas peu fier.
Recouvert d'un plaid de voiture écossais en guise de cape, son démonte-pneu
faisant office de fleuret et ses bottines en caoutchoux vert qui brillaient
sous la lune, Bertrand présentait une curieuse silhouette, parfaite pour
ce mensonge d'une nuit étoilée.
Réflexions
croisées
W.S.R
:
" Merci pour n'avoir pas fait d'histoires ! "
Irène :
" Devine de quoi j'ai envie à présent ! "
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Ragnagnan était son nom d'emprunt
et de mystère.
Allez, un petit dernier pour la route enchantée et ils partirent en trébuchant
sur les cailloux pointus.
Il voulut de suite remonter l'amazone à pied.
" Ragnagnan, vous êtes une vraie brute ... mon panier fleuri est tout
cabossé ! "
Flatté, le spadassin lissait sa fausse moustache.
" Pathos, Clitos et Avaris seraient fiers de moi ! "
Irène était si agitée qu'ils manquèrent plusieurs fois de s'étaler dans
les traîtresses ronces.
" Le rapt c'est rigolo, mais il faudrait quand même penser à la ramener
à la maison ! " lui disait sa mauvaise conscience qui venait de se réveiller.
Trop tard, comme d'habitude.
C'est étudié pour.
Double errance nocturne.
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Parvenu dans le sous-bois
on ne voyait plus rien, le noir total y rêgnait.
Nos deux fugitifs du réel ne peuvent plus se fier qu'à leur sens
du toucher.
" Oh votre épée me gêne Ragnagnan ! "
" Ce n'est pas mon épée, Miladyrène, je l'ai jetée dans les buissons
avec le reste de mon équipement ridicule ..."
" Mais dîtes donc mousquetaire (petit sifflement admiratif), oh
pardon, c'est un tronc d'arbre ... ah là par contre, ce sont bien
vos jolies moustaches ? "
" Ce ne sont pas non plus mes moustaches Chèrirène, je les ai perdues
il y a longtemps ... mais l'obscurité est parfois trompeuse ...
".
La fine* lame prépare
sa botte secrète.
" Parfois elle est compli / - PAF - on entend résonner un gros choc,
puis un bruit lourd sur le sol ...
" Est ce que ça va Bertrand, je veux dire Ragnagnan ? " s'inquiète
l'enlevée.
* fine : Pas si fine
que ça, il faut faire attention à ce que l'on dit.
Question de réputation.
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Le garçon vient de se payer
une branche basse, il est sonné.
La jeune femme se précipite et trébuche sur lui :
" Oh pardon mon pauvre ami assommé, voyons-voir ... si je ne m'abuse,
et si je ne vous abuse pas un peu, ne seraient-ce point là vos délicates
roubignolles ... "
" Que vous tâtâtes avec tant de grâce ! " il se relève, l'arcade en a
pris un coup.
" Sifflet* madame, ce sont elles, pour vous servir ! " comme il lui reste
toujours son chapeau et son sens des convenances, même inutiles, Bertrand
se fend d'une impeccable révérence.
* Sifflet : Si fait, pas
sifflet, ça bousille toute la scène !
Jusque là c'était bien.
" Hou, hou ! " fait un
des rares spectacteurs.
C'est une opinion.
Celle du moyen-duc est différente, ses immenses yeux écarquillés,
il dit juste :
" Super chouette ! "
Les avis sont donc
partagés.
Et le calme revint
sur la nuit patiemment (mais sciemment) étoilée par nos soins ...
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Bien plus tard.
Un briquet s'allume dans la nuit :
" Dites donc vous avez un cacré coqard ! "
" C'est pour vos beaux yeux, marquise, et votre mignon panier fleuri que
j'ai mis en déroute les félons alentour ! "
" Merveilleux Ragnagnan ... c'est encore plus romantique ! "
Le briquet n'a plus de gaz ...
Mais le Biquet en a encore
...
E-moralité
adultérine
Et voila, l'adultère se profile
bas, encore une fois.
Bertrand en est très heureux car comme tout bon célibataire, les femmes
des autres l'intéressent.
Foutrement dirait-on.

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" Ne jetez pas la pierre
à la femme adultère, je suis derrière ... "
Que ferais-je sans
ton soutien Georges ?
Lapin.Blanc.Rapide soutient
donc les femmes infidèles et, afin de leur venir en aide, il a même
rédigé une petite brochure qui mèle conseils pratiques, mensonges
à toute épreuve et ruses multiséculaires.
On peut y apprendre des tas de choses utiles dans la vie amoureuse
extra-conjugale de tous les jours, par exemple : - Comment bien
choisir mes amants ? - Est-ce que je peux réutiliser mes amants
? -
Peut-on en même temps avoir plusieurs amants sur soi ?
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Lapin.Blanc.Rapide soutient
donc les femmes infidèles et afin de leur venir en aide il a même
rédigé un petit guide qui mèle conseils pratiques et ruses multiples,
par exemple :
- Comment bien choisir mes amants ?
- Est-ce que je peux réutiliser mes amants ?
- Peut-on en même temps avoir plusieurs amants sur soi ?
Et que fait-il donc de sa fidélité* pendant ce temps ?
Rien, c'est bien là tout le problème.
Mais c'est parce qu'il ne comprend pas pourquoi.
Afin de rassurer définitivement
les dames sur l'impureté de ses intentions, il distribue en même
temps que son guide de l'adultère, une petite carte (qu'il espère
de visite) le représentant en représentant sexuel polymorphe.
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Mais avec sa nouvelle
carte néo-libérale, il passe devant tout le monde. |
On le réclame à corps perdus
et à cris étouffés, le consciencieux et pénétrant lapin ne sait plus où
donner de sa ... disons, bienveillante pénétration.
Il reçoit un abondant courrier, beaucoup, beaucoup de lettres ; tirons-en
une, au hasard comme d'habitude.
Par exemple, madame "i" de Monpanier lui écrit :
" Très cher Lapin.Blanc.Rapide.
Depuis votre fulgurant passage je ne suis plus pareille.
Je pense tout le temps à votre extincteur* qui m'a fait tant de bien.
Pour preuve je vous envoie
ces deux photos qui parlent d'elles-mêmes.
P.S : J'ai relu tout
Alexandre Dumas. "
* extincteur : C'est
évidemment un code, un coup de fusil est si vite parti.
Vous voyez que ce n'est
pas des histoires.
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* fidélité : Idéal
monogamique.
On pensait en avoir trouvé de parfaits (et vertueux) exemples dans le
monde animal, mais c'est faute de n'avoir pas bien regardé.
Prenons l'exemple aérien de l'albatros*, ce qui nous changera des pélicans.
Un majestueux et grandiose palmipède planeur réputé pour en être quasi
le parangon.
Et bien c'est faux, madame albatros aura eu finalement pendant la saison
une quinzaine de partenaires successifs sans presque bouger du nid.
Ce qui n'est pas mal pour une chaste réputée, c'est en tout cas un sort
qu'envierait plus d'une femme au foyer ... pour être enfin un peu légère.
Cette femelle est donc volage, ce qui est bien pour un oiseau.
Si nous n'avons rien vu c'est qu'un palmipède peut facilement en cacher
un autre ; et puis nous ne sommes pas là tout le temps.
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Autre exemple
comportementaliste : pour s'assurer (se rassurer plutôt) sur la fidélité
de sa campagne, le mâle pélican emmène sans cesse des cadeaux, principalement
des cabillauds, à sa moitié duveteuse.
Elle accepte joyeusement ces poissons d'avril mais qu"en fera t'elle
lorsque il aura tourné des ailes ? |
Faute* de grives,
on mange des merles et par manque d'albatros, on voit des grèbes,
huppés.
* Faute : A moitié
pardonnée.
Les seuls animaux
strictement monogames le sont pour d'impératives raisons liées à
un mode de vie bien particulier, ils ne pourraient pas exister autrement.
Ce n'est heureusement pas le cas de notre espèce, la fidélité ne
serait donc pas faite spécialement pour nous (mais on peut toujours
se l'imposer).
La preuve c'est que nous n'y arrivons pas, ou peu, ou mal.
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Bertrand
est donc, par dame nature, polygame : il ne veut pas appartenir à personne
et il ne tient pas spécialement à ce que personne lui appartienne (et
qu'en ferait-il donc ?).
Ne représentant (en extincteurs, rappelons-le) aucune sécurité affective
ou sentimentale pour ses éventuelles partenaires, il doit leur proposer
d'autres services, une sorte de contrat de méfiance.
* albatros : Pourquoi lui
?
Parce que c'est si beau, de l'air ...
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Aperçus
Qui ne
saute pas
N'est pas de Monpanier
C'est simple, et sautillant
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