PIERRETTE
La journée du 15 avril aux environs de Montsédur

Pierrette

Pour une fois que Bertrand voulait s'intéresser à autre chose que la fesse, il était bien puni.
Depuis des heures il essayait d'atteindre Montsédur mais la vénérable ruine se refusait toujours à lui ; en levant les yeux il pouvait voir le château se profiler comme un sombre vaisseau sur le ciel où défilaient des cohortes d'inquiétants nuages gris.
C'était très impressionnant mais il ne pouvait jouir (du spectacle) car la petite route sur laquelle il était engagée tournait obstinément autour de la montagne sans monter d'un pouce ; par contre la chaussée diminuait de largeur à chaque kilomètre et bientôt il n'y eut plus entre le précipice et les roues que quelques malheureux centimètres.
Il ne pouvait plus faire demi-tour, ni repartir en marche arrière et il craignait de ne bientôt plus pouvoir seulement avancer.
Etait-il victime d'un enchantement catharique, d'une hallucination solitaire ou d'une facétie des ponts-et-chaussées locaux ?

Fatigue ou sortilège ?

Le garçon s'inquiétait beaucoup quand au sortir d'un énième virage, il se trouva face aux crocs d'acier d'un gigantesque tractopelle*.
Dans la cabine vitrée, tout là-haut, s'agitait les boucles blondes d'une petite femme en salopette mauve qui souriait en manipulant avec virtuosité leviers, manettes et commandes de pilotage.

* tractopelle : Dugland, c'était sa marque de fabrique.

L'engin salvateur était jaune comme ses concurrents mais, mis à part la couleur, la robuste Dugland (au centre) n'a rien à voir avec ces fragiles jouets.
Bertrand fût, tout en même temps, soulagé d'enfin sortir de son tourniquet départemental, content de voir du monde, déçu de ne plus aller au château et charmé de la rencontre ; ce qui prouve bien la complexité (et l'hétérogénéité) des sentiments humains.
Après une dernière giration, le monstre rugissant s'immobilisa,
quelques ultimes saubresauts et le silence revint sur la montagne, d'un bond léger la conductrice aux cheveux clairs en descendit.
Elle s'avança vers le garçon, lui secoua vigoureusement la main en disant simplement :
" Pierrette ! "
" Très enchanté, moi c'est Paul ! " répondit Bertrand pris d'une subite et débile impulsion.

Rubrique - Ma vie à deux -
(extraits)

 

Pierrette sait toujours quand Bertrand ment car c'est si facile à voir.
Pierrette (haut) :
" Je te tuerais bien ! "
Bertrand (haut) :
" Et ce n'est pas une trahison pour toi ? "
Pierrette (bas) :
" Ca reste à prouver. "
Bertand (bas) :
" Je ne peux le croire. "

En effet, pourquoi mentir ?
Il était toujours très intimidé par les femmes qu'une énergie masculine semblait habiter ; c'est une explication, mais elle n'explique pas tout.
Mauvaise nouvelle : suite à une coulée de boue liquide, la route serait fermée jusqu'au lendemain matin, Pierrette conseillait donc à Bertrand de passer la nuit à sa ferme voisine vu que l'orage menaçait et qu'il ne ferait pas bon rester aux abords de ce lieu à la si sinistre réputation.
Bonne nouvelle !
Il monta vite dans le puissant engin aux cotés de l'intrépide blondinette de chantier.
En chemin chenillé, ils eurent le temps de parler très fort à cause du bruit motorisé.


Quel menteur !

 

Le tout nouveau Paul expliqua en hurlant qu'il était agent secret, que son vrai nom était Hubert-Bonisseur de la Chatte et qu'il était en mission D (pour Délicate) dans ce coin perdu afin d'y surprendre les nébuleuses activités d'un groupe néo-cathare " Cathare 6 ".
D'où la présence de nombreux extincteurs dans son coffre surchargé.

" C'est y des communistes*ces gens là ? " lui cria Pierrette entre deux rugissements ... du moteur.

 

* communistes : En parfait agent double, Paul travaille aussi pour l'ex-stasi (j'hallucine !) afin de donner le change (pourtant peu favorable en ce moment).
Ce cas G*.B les intéresse beaucoup.

* G : Suite à une intoxication non-alimentaire, ces pas jolis cocos restent persuadés qu'il s'appellent Gérard.

A l'ouest rien de nouveau sous le soleil du Texas pétrolifère, au nord, ça fond, au sud, ça chauffe, direction les steppes arides et les conduites à risques ...

" Vous devriez demander le soutien de la religion ? " suggéra la demoiselle.
" Impossible poupée de cire, si moi ou un de mes agents venait à être pris, retourné ou mis à mal, le département de l'Ariège nierait avoir eu vent de nos agissements ... "

Bertrand raconta alors ses missions imaginaires aux quatre coins du monde.
" Vous devez connaître James Bond ? " demanda soudain la fille.
" Ce sacré James, il a toujours été un peu jaloux de mes succès ... "
Elle était prête à avaler n'importe quoi, allait-il en profiter ?
Poser la question c'est y répondre.

 

Emporté sur les ailes du désir par son imagination, Bertrand divague complètement : le voici maintenant au Balouristan où il doit établir un contact ... mais s'il a le tact nécessaire, pas le moindre petit con à l'horizon poussiéreux, que des grands, armés jusqu'aux dents plombées :

" Allo la centrale, le lieu du rendez-vous était sensé être secret, et c'est drôlement mal fréquenté ! "
" Agent vraiment très spécial, vous avez regardé la carte à l'envers, terminé ! "

Il s'était jeté dans la gueule de l'ours ...

Bertrand prit son air mystérieux et préoccupé, Pierrette ouvrait de grands yeux bleus, ronds et admiratifs.
" Hubert, pardon Paul, vous savez parler aux femmes comme moi ! "
Le garçon continua de se faire mousser *.
En faisan, comme dans les films de gangsters.

* mousser : Pierrette étant assez grande pour se faire mousser toute seule.

 

Ils arrivèrent devant la ferme puis entrèrent dans la cour où Bertrand eut un choc : deux douzaines d'immenses poteaux de bois, tous résolument (et abruptement) phalliques, y étaient plantés en cercle.
Peints du haut en bas de chatoyantes couleurs, si fraîches qu'elles sentaient encore fort la tétébenthine.
Certains portaient de petites clochettes sur leur gland doré qui tintinabulaient doucement dans la brise vespérale, d'autres de prépucielles et charmantes guirlandes en pâte à sel.


Le cercle enchanté ou la couronne des pines, au choix.

Mais tous étaient vaillament dressés vers le ciel, même ceux encore à l'état débauche (pardon, d'ébauches), vagues mats ou troncs juste écorcés.
Au vu de cette communautaire érection, le garçon fût saisi de stupeur :
" Et vous faites comment ? " questionna t'il en désignant les totems.

" Avec ça, Hubert, enfin Paul ! " répondit Pierrette en sortant de sous le siège une tronçonneuse qui démarra au doigt et à l'oeil.
Elle lui fit une rapide démonstration de sa virtuosité en entaillant avec brio un fût mal dégrossi, les copeaux volaient partout autour d'elle, se prenant dans ses cheveux blonds, c'était magnifique.
" Quelle circoncision ! " articula Bertrand admiratif.

 

Indiscutablement elle savait tailler avec finesse et précision.
" Dans la région ce n'est pas les arbres qui manquent mais les hommes intéressants* ! " glissa la sculptrice entre deux pétarades.

 

* intéressants : Il y avait bien ses trois voisins, gens du village et grands débiteurs aussi, mais ils préféraient s'aimer entre eux.

" C'est de l'art vraiment brut, ça vous la coupe ... " crût bon d'ajouter le garçon en passant sa main sur le gland tiède à peine équarri.

Et lui qui n'était pas encore circoncis ...

Troublé, il ne savait plus que faire, tout désir l'avait lâchement abandonné en même temps qu'une peur irraisonnée occupait l'espace laissé vacant.
Prétextant une impérieuse et secrète communication avec les agents de son réseau, Bertrand saisit son portable, celui-ci était éteint - Entrez PINE - lui indiquait l'appareil.
" Ce n'est vraiment pas le moment ! " râla le faux-espion.
Il le ralluma et commença une interminable et imaginaire conversation, s'éloignant petit à petit au milieu des canards dandinants, des oies blanches, des poules de luxe et des bites en bois dont certaines penchaient aussi dangereusement que la tour de Pise (l'âge ou une mâlefaçon, peut-être un glissement de tes reins géants ?).

Le lapin dégonflé arriva devant le clapier* géant.

* clapier : Endroit où l'on clape (clap,clap,clap !).

Il s'arrêta face aux cages où certains de ses frères étaient retenus prisonniers, ils le fixaient de leurs beaux yeux marrons tout en remuant leur petit nez.
C'était triste, il leur recommanda d'être patient (que faire d'autre ?), lui, il devait partir.
Mais soudain révolté, il se retourna et cria :
" Freedom for the rabbits " avant d'ouvrir grande la première cellule, un couple de lapins d'épices orangés* en sauta vivement.

* orangés : C'était un élevage d'animaux érotiques (pardon, exotiques), des lapins dits " de paradis ", baroques et multicolores.

La tronçonneuse retentit dans la cour de la ferme, Pierrette s'était remise au travail et elle y allait de bon coeur.
Ce vibrant " touche-pipi " l'exaltait totalement.

La libération.

Le lapin animalitaire avait donc un peu de temps, il ouvrit rapidement les autres cages, un flot de petits mammifères bariolés en jaillit envahissant ce nouveau monde.
Cette fois il lui fallait vraiment partir, les coûteuses bestioles faisaient taches sur l'herbe platement verte ... et que dirait Pierrette !
Le garçon préférait ne pas le savoir, toujours selon sa fabuleuse tactique.
Se faufilant entre les phallus sculptés (il pouvait aussi se cacher derrière) Bertrand réussit sa retraite élastique, toujours environné de ses nouveaux amis aux pelages resplendissants de toutes les nuances de l'arc-en-ciel.

Le difficile éloignement.

Quand il fut enfin sûr d'être hors de vue, le garçon se mit à courir sous les premiers grêlons, loin de la ferme, de l'infatiguable Pierrette et de sa castratrice tronçonneuse.
Seul problème les lapins le suivaient, ne sachant que faire de leur vertigineuse liberté, ils exploraient prudemment leur univers grand ouvert sans quitter Bertrand des yeux.
Il était le chef, celui qui avait les idées, c'était donc à lui de décider.
Les éclairs zèbraient le ciel, le tonnerre grondait la terre et les ruines menaçantes le surplombaient toujours.
Les lapins attendaient, leur silencieuse et craintive assemblée guettant un signe ...
Le bombardement gelé était à son comble ; Bertrand pataugeait dans la gadoue glacée, ça lui apprendrait à mentir.
Il leva la main droite (mais il ne jura pas de dire toute la vérité pour autant) et de ses deux plus grands doigts écartés fit l'ancien signe de la victoire qui pouvait aussi signifier " lapin ", surtout si on remuait un peu des phallanges.

Le lapin bleu à étages comprit de suite le message, c'était un surdoué aux lobes frontaux démesurés.
Pas comme cette andouille de lapin-lyre qui, au lieu de rester discret, frottait sans arrêt ses curieuses oreilles électriques entre elles pour en tirer d'affreux sons qui le ravissaient.

Il était bien le seul.
Heureusement que les mugissements de la machine coupante couvraient tout.
Bertrand trouva encore mieux, en collant ses mains ouvertes de chaque côté du crâne, il pouvait devenir un des leurs ; dés lors il n'avait plus qu'à les agiter dans un sens ou dans l'autre pour donner ses instructions, mais quelle responsabilité !
Et quel désordre, chez ces petits animaux c'était vraiment l'amour libre !
Il se retrouvait perdu dans la montagne à la tête chercheuse d'une bande très inoganisée de lagomorphes bariolés.
Rien n'était prévu au programme, même son caractère était maintenant bien trempé ... le découragement s'approchait :
" Adieu veaux, vaches, cochons, couvées ... "
Il laissait là Pierrette et le poteau laid.
Son poteau rose, il l'emmenait avec lui.
Intact.

Aperçus

Mauvais augures de Montsédur
Printemps de pluie précoce
Prépuces vagabonds

 

 

 
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