FONDATION GELLIPANE

PROGRAMMATION

 

 

 

" JE PEINS GOUIN "
ARTISTE : AL CIDDE
GENRE : animalier
EXPOSITION n° 44

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La visite d'atelier

 

On se prépare, hâtifs.

Dans les vestiaires de la Fondation, on s'équipait pour la sempiternelle visite d'atelier.
" Quelle corvée, on va encore se retrouver dans un endroit pas possible ! " râlait Peldugland qui avait toutes les fois l'impression de faire une visite de charité.
" Pour mes bonnes oeuvres ... " plaisantait Mordicus en boutonnant.
Miss Clitorini se regarde une dernière fois dans la grande glace :
" Je suis affreuse, tant mieux car la fois dernière l'artiste a essayé de me violer, pensant que j'étais hypnotisée par son oeuvre ! "
" L'avant-dernière fois aussi, il me semble ? " demanda innocemment Octave des Obres.
" C'est vrai, mais il faut les comprendre, ils sont si seuls* avec eux-mêmes ... "

* seuls : Pas si sûr, mais ils font tout ce qu'il faut pour.

" Tout le monde est prêt, n'oubliez pas vos bottes, nous allons chez Al ciddé et ça va sentir la marée ! " nous prévint le directeur.
Et nous voilà enfin partis.
Sur place l'odeur était supportable mais il faisait un froid de canard.

Le peintre (et l'ami) des sphéniscidés travaillait sur sa dernière peinture dans une grande chambre froide où ses petits modèles pouvaient poser sans risquer de trop se réchauffer*.

* réchauffer : Le réchauffement restant le souci majeur des pingouins, en l'absence de prises pour les ventilateurs.

L'artiste s'activait légèrement vêtu, on le regarda en grelottant pendant un quart d'heure tout en faisant de petits nuages de buée.
Il bondissait en couinant devant sa grande peinture, une étrange image nocturne : par un soir de pleine lune, une bande de facétieux pingouins s'ébattent dans l'eau glacée d'un frigidarium à l'antique.

Autour du bassin les statues frissonnent beaucoup, même leur reflet en est troublé.
De sa loge un thermaliste insomniaque lance des poissons aux oiseaux nageurs.
Heureusement les séances de travail étaient courtes*, mais fréquentes.

* courtes : Vu l'hyperactivité naturelle des manchots.

Al Ciddé nous servit un bouillon grassissime brûlant qui nous réconforta, il tournait comme un pigeon roucoulant autour d'une Miss Clitorini frigorifiée :
" Rrou-rrou, vous êtes toute rose, comme une crevette ... "
Grise aussi car la mixture valait 50 degrés bien rugissants de lontitude, et autant de platitudes.
La demoiselle-pigeonne ne quittait plus des yeux bleus l'oeuvre en cours.

On sonne, c'est le poissonnier et son épouse, la pêche a été bonne, dans la piscine remplie de glaçons, les modèles crient leur joie :
" Miam, miam ! " (en pingouin).

 

Al Ciddé achète trois caisses d'enchois, le directeur deux dorades roses et Peldugland une sole, mais sans filets.

 

Miss Clitorini n'avait pas bougé d'un long cil, Peldugland n'en revenait pas :
" Elle semble complètement tétanisée, comme hypnotisée ! "
" Oui, c'est bon, on a compris. " releva sèchement Octave des Obres que sa perpétuelle insatisfaction rendait toujours irritable devant les succès d'autrui, fussent-ils de purs fantasmes.

Notre cultivé pingouin était en extase :
" Elle a le profil d'Athéna Niké* !!! "

* Niké : Pas encore, mais ça ne saurait tarder.

Cette déesse est qualifiée aussi de Pro-machos, tout un programme d'échec scolaire.
" On dirait une médaille de bronze, et ça Minerve ! "

" Pouick, pouick ! "

Il s'agirait donc d'un fantasme attique classique ; en tout cas, impossible d'arracher notre communicante à sa contemplation (ou sa distraction) picturale.
Même pas la fausse promesse d'un treizième mois complet.
Miss Clitorini allait être bientôt complètement absorbée, déjà les manchots lui faisaient signe en claquant du bec au milieu des éclaboussures.
On l'abandonna donc sur un iceberg pour y vivre d'amour et de poissons frais avec son artiste aux pieds palmés.
Sur le chemin du retour on discutait le coup futur, Guy mollet était de joyeuse humeur :
" A ce propos, avez-vous remarqué, cher Octave, que cette charmante pêcheresse avait les pieds nus ? "
" Normal, c'est toujours les poissonniers les plus mal chaussés ! "

Décidément, le bonheur des uns fait le malheur des autres, et c'est sans issue de secours.
Un grondement sourd, l'orage menaçait.
" Dieu nous préserve hâtifs ! " annonça le poète en pressant le pas.

 

 
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