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C'est la panique ce matin
à le Fondation Gellipane, le directeur ne répond plus.
" Il est peut-être en " réunion " avec Miss Clitorini ? "
" Impossible, elle est en R.T.T aujourd'hui et nous n'avons pas
de nouvelles stagiaires ! "
Alors mystère, Octave des Obres décide de pousser la porte du bureau.
Surprise : notre directeur est prostré, la face contre le sous-main
de cuir, totalement silencieux.
Le blues directorial.
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Quand
il souleva la tête, notre témoin numéro un nota qu'une grosse
bosse déformait le front altier et souverrain.
Le crime de lèse-majesté planifié par l'artiste Manqué
avait normalement foiré, mais de fort peu.
* Manqué
: Pourquoi fait-il ça ?
Parce que dans le genre mécontent et ronchonneux, les artistes
sont souvent les plus tristes sires.
Et franchement nous n'y pouvons rien s'ils sont nuls.
Le lâche attentat
taré (pardon, raté) au seau périlleux.
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Le rescapé,
les yeux encore humides, parle enfin tout en se massant le cuir chevelu
:
" Juste un peu mal au crâne ... " |

Bosselé mais vivant.
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Il semble
très troublé (le choc sans doute) :
" Je voudrais tant qu'on m'aime, pouvoir ouvrir mon coeur meurtri,
il se reprend brusquement, surtout ne le dîtes à personne ! "
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Le téléphone sonne, encore
sonné Mordicus décroche :
" Allo, la Fondation Gellipane, c'est bien ce soir le vernissage de
votre expo de Chiotte ? "
Le bizarre intitulé dérida le dirigeant.
La crise était passée, le sens des responsabilités triomphait du découragement
et la cause juste de la violence ... Injuste.
Occupons-nous de l'exposition qui ouvre lentement ses grosses poportes
pour qu'on puisse voir dedans.
Enfin, c'est pas trop tôt, on a failli attendre l'ambulance.
Les graffitis sont une
vieille habitude des humains qui aiment à laisser des traces de leurs
passages, de leurs activités ou de leurs pensées sinon les plus profondes,
en tout cas les plus présentes.
On les retrouve partout, sur les pyramides, les cathédrales et dans les
endoits les plus reculés et les plus innatendus.
Aux temps modernes, leur lieu de prédilection, celui où ils naissent et
prolifèrent, ce sont les toilettes et leurs annexes ; le contenu en est
la plupart du temps obscènes, scatologiques, en tout cas, au dessous de
la ceinture qui est rarement de chasteté.
C'est pourquoi ils sont un genre mineur ou carrément mauvais, ignorés
par l'histoire de l'art où ils ne figurent même pas en annexe.

Graffitis
de Chiotte.
Et pourtant ils existent,
comme dirait le beau Léo (de Ravenne ?) ; alors à la Fondation Gellipane,
comme nous ne méprisons personne, nous leur avons fait une petite place
dans notre programmation avec un des incontournables représentants de
cette pratique toujours actuelle, Chiotte.

Le graffiti
n'exclue pas le raffinement.
Afin de ne pas choquer notre
public raffiné et délicat, nous dûmes effectuer une nécessaire censure.
Nous avons donc choisi dans l'abondante production de Chiotte, les plus
innocentes et poétiques images ; ce fût un long, fastidieux et malodorant
travail.

Un choix
bien entendu subjectif.
Pour tout ceux qui vont encore
crier à l'atteinte à la liberté d'expression, nous les renvoyons dans
leurs toilettes habituelles où s'épanouit et se répand librement, bien
caché et sans entraves, l'esprit de l'homme et son contenu pipi-caca triomphant.

Chiotte devant
ses oeuvres gravées.
" Il a un goût de Chiotte
! " entend-on maintenant de partout, jusque chez les oenologues ;
l'expression en est devenu proverbiale. Pour une fois la rumeur est fondée,
l'analyse juste et l'information exacte.
Chiotte n'apprécie que les choses vulgaires, dégradées ou (et, c'est encore
mieux) insignifiantes.
Il aime - tut* - ainsi que - tut -, et donc - tut tut - aussi ; et bien
sûr Peldugland, c'est vous dire jusqu'où vont ses égarements esthétiques.
* tut : Nécessaire occultation,
le - tut - en question exposant bientôt à la Fondation Gellipane.
Est-ce une pose élitiste et
pharisienne (pardon, parisienne), une banale provocation ou toujours cet
infernal tropisme paradoxal ?
Non, c'est le mauvais goût de Chiotte, tout simplement.
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Il est original, c'est
donc un original et il n'avait pas fini de nous faire partager son
originalité.
Au moment de la fermeture, Paul, l'expérimenté gardien, vint tirer
par la manche le directeur.
" Venez-voir monsieur
Mordicus ! "
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Le spectacle était plus qu'étrange,
Chiotte se tenait accroché au plafond la tête en bas, comme une chauve-souris.
Le directeur sentit son mal de tête le reprendre.
Paul est le premier étonné :
" Il ne peint pas la tête en bas, sinon ses images seraient inversées
! "
" Pas si sûr, il existe un cas exactement contraire en Allemagne.
" soutient Octave.
On le croit
difficilement.

" Assez, s'écria Mordicus,
surtout ne le décrochez pas, du moment qu'il est calme et qu'il ne fait
pas caca partout, il referme doucement la porte, pensez à le laisser avec
de la lumière verte* et donnez-lui donc à boire ; pour le reste ...
"
Le directeur lève le poing droit, c'est le signal convenu.
" On verra ça lundi ! " répond le choeur des travailleurs.
De toute
façon,
Chiotte n'est jamais vraiment seul avec lui-même.

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* verte : C'est dans le
contrat.
Elle est nécessaire à l'artiste pour saisir les ultrasons, son " béta-langage
" comme il l'appelle.
Par contre les ultracons lui font toujours aussi mal aux oreilles.
Tout est bien qui finit le
week-end.
L'équipe de la Fondation défile en chantant devant les dirigeants rassérénés
:
" Hého, hého, on rentre du boulot ! "
Ils agitent visseuses, scies, marteaux et niveaux à bulle au dessus de
leur tête mouillée (d'un peu) de sueur.
C'est beau comme un premier mai.
Nous les saluons distraitement de la main gauche.
C'est si bon d'être un dominant.
Et pendant
ce temps, l'artiste continue de rêver au futur chef d'oeuvre qui le
fera enfin sortir des toilettes publiques. |
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Pour le faire entrer dans les cabinets (pardon, les collections) privées.
Voilà, c'est tout pour aujourd'hui. |
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