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A l'écho des lamentations qui
s'échappaient de la salle d'exposition, le directeur devenait nerveux
:
" Oh, ça va être comme ça tout le temps ? "
Les Vierges
marries n'arrétaient pas de chialer depuis leur arrivée.

Peut-être à cause du nouvel
éclairage, beaucoup plus économique mais très irritant pour les globes
oculaires.
" Qu'est-ce qui se passe
ici, vous avez perdu quelqu'un ? " demanda Guy Molet en ôtant son
écharpe.
Leur inconsolabilité faisait problème au poète :
" Pourquoi pleurent-elles ainsi, Octave ? "
" C'est parce qu'elles n'ont pas connues l'amour, ou pas assez longtemps
! " lui répondit le plastichien qui s'y connaît en femmes.
" Si ce n'est que ça ... de l'amour j'en ai toujours en stock, surtout
au réveil, par exemple ce matin ... " reprit de volée notre vigoureux
chef (de bande ?).
" Halte mon beau directeur, vous n'allez quand même pas souiller ces
chastes vestales ? "
" Je ne veux souiller personne Guy, mais j'aimerais qu'elles cessent
un peu de chougner sinon nous n'aurons pas un chat dans notre belle exposition.
"
Mais le directeur se trompait (pour une fois !) car le soir du vernissage
la Fondation était pleine de pleureuses accompagnées ou de seuls pleureurs,
chats et chattes enfin réunis.

Parfois les
lamentations s'arrêtaient brusquement et les vierges marries prenaient
une pose suggestive.
" Elles feraient une bonne
publicité pour les cornets de monsieur Gellipane ! " réalisa Peldugland.
" Les chants désespérés sont toujours les plus beaux ! " se disaient
les visiteurs à l'oreille.
C'était donc la raison du succès.
Il arrivait de plus en plus de monde de plus en plus triste.
Nos inexistantes normes de sécurité étant dépassées depuis le début, il
nous fallait avoir l'alarme à l'oeil.
C'est ça être responsable
(à la Fondation Gellipane) !

Les vierges marries se dévétirent
dans un bel ensemble et improvisèrent une danse sauvage que les mieux
informés d'entre nous qualifièrent de " culte à la fertilité ".
La chorégraphie réjouit petits
et grands, surtout les grands car les petits avaient un peu peur.
A cette occasion nous exposons (et vendons) des larmes, pour tous les
goûts, salées, amères, sucrées-salées, blanches, de verre, de sang, de
joie de préférence.
Elles sont peu chères, surtout à Marseille mais ici, pas question d'avoir
sa larme à l'oeil !
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Chaque
acheteur recevant une part du gigantesque flan que nos vierges avaient
bien préparé ; comme quoi on peut-être artiste et bonne cuisinière,
c'est sans contradictions.
Le directeur s'extasiait devant les chiffres de son commerce intérieur
:
" C'est fou ce qu'on arrive à vendre*, j'ai beau m'y être habitué
ça n'en finit pas de m'étonner ... "
" Un collègue a même réussi à fourguer deux pots de fleur géants
la semaine dernière ! " reprit au bond le touriste
avec un (tout petit) soupçon de jalousie.
" Non ? Sans qu'on ne remarque rien ? Et personne n'a rien dit
? Il a sûrement des complices pour réussir un coup pareil ... sacré
Octave.
J'ai bien vu que vous plaisantiez, ah, ah, ah, c'est la meilleure
! " conclut avec une grande claque dans le dos notre génial dirigeant
dans une éclat d'hilarité trop contagieuse car de pure servilité.
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Bref la bonne humeur rêgnait
tandis qu'on bradait les dernières icônes pleureuses :
" Une petite larme ... pour la route ? "
* vendre : En particulier
aux institutions, c'est beaucoup plus facile vu que ce n'est pas leur
argent mais celui des cons tribuables à merci.
La vue des billets doux
consola comme par miracle nos Vierges marries, qui se marrent depuis
car souvent femmes varient ; c'est une bonne happy-end point trop
misogyne.
Le directeur
voulait absolument
rencontrer les artistes
avant leur rhabillage.
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