AGNES T.
Le 4 avril à Tartassonne

Tartassonne est une ville fortifiée depuis longtemps.

Chacun y est allé de sa petite tour.

Debout devant l'échauguette sur les remparts de Tartassonne, Lapin Blanc Rapide surveillait les alentours.
Depuis les rois maudits aucune attaque féodale n'était plus à craindre, alors que pouvait guetter notre héros dans la lice en contrebas ?
Son gros oeil aux aguets, aucun mouvement ne lui échappait, il attendait une éventuelle sortie d'une tartassonnaise esseulée mais pour l'instant il en était pour ses frais de déplacement. Seuls quelques groupes de touristes photographeurs erraient ça et là entre les courtines séculaires.
Il n'allait quand même pas violer le duc ?
A cet instant son coeur chaud fit un saut de lapin, sur le chemin de ronde venait d'apparaître une silhouette mouvante et familière : une lapine !
Il l'avait de suite reconnu à ses deux grandes oreilles et quelques autres attributs secondaires bien en place, la jeune femelle avançait vite sur ses patins à roulettes*, à la volée elle lui mit dans sa main ardemment tendue un prospectus avant de s'éloigner en remuant son petit pompon blanc* toujours chaloupant et zigzaguant au rythme souple de ses fins jarrets.

* patins à roulettes : Il les pratiquait aussi mais seulement avec la langue, c'est plus prudent car il n'a pas d'équilibre.

* blanc : En fait le pompon était rouge, comme à la vogue.

Réflexions croisées médiévales

Lapin :
" Et ça te dirait une jolie carotte ? "

Lapine :
" Une rouge alors, fourragère et bien propre ! "

Cette apparition l'avait ragaillardi, il lut attentivement la notice :
" Le 4 avril au 16 bis rue de l'Echaudée
Grande réunion Supperware
Venez nombreuses ! "

Il irait, foi de Lapin.Blanc.Rapide !
En quelques bonds prodigieux W.S.R (White Speed Rabbit) fut sur place et se mèla à l'attroupement féminin qui attendait déjà sur le seuil en papotant, et plus.

Bertrand au milieu de ses nouvelles amies.
Certaines sont en double, il pourra peut-être les échanger ?


Comme il ne savait pas du tout où il mettait ses grands pieds, Bertrand s'était muni d'un extincteur décoré d'un beau noeud rose en guise de cadeau à la maîtresse de ces lieux moyenâgeux.
On fit entrer et asseoir tout le monde dans un brouhaha de chaises déplacées et le jeune homme se retrouva au beau milieu d'une assemblée de caquetantes ménagères qui le regardaient toutes intensément.
" Qu'est-ce que je dois être beau ! " se dit Bertrand.
Il avait calculé (et bien manoeuvré) pour se retrouver à coté de celle qu'il trouvait la plus jolie de l'assistance ; profitant de ce que la réunion n'avait pas encore débutée, le garçon commença les travaux d'approche.
Elle avait un petit nez pointu, très mignon ; Bertrand la regardait.
" Alors comme ça vous vous intéressez aux Supperware ... depuis longtemps ? " demanda la tartassonnaise en battant des cils comme une raie manta.
Bertrand déglutit, les voisines alentour tendaient l'oreille, il ne fallait pas se louper.
" Depuis trente secondes à peu près ... (un dangereux silence) ... mais je trouve ça super intéressant ... et même super-ware ! "
On rit beaucoup à cette non-blague, on put se détendre, aller aux toilettes et la conversation de se poursuivre elle-même.
Bertrand apprit ainsi rapidement que la délicieuse tartassonnaise se nommait Agnes T. était une habituée de ce type d'évènement, et qu'elle était très ravie de le voir ici, ainsi assi au milieu d'elles.
" Pourquoi Agnes T. ? " demanda innocemment le novice.
" Parce qu'ici, nous ne nous connaissons que par notre prénom, c'est comme ça ! "
" Très enchanté, moi c'est Bertrand B. (B pour Biquet) ! " répondit le jeune homme déjà en extase préliminaire.

Bertrand est sous haute surveillance.

Un dernier brouhaha et après quelques rituels mots de bienvenue, la réunion put enfin commencer.
On présenta les nouveaux modèles de boites en plastique, rondes, carrées, grandes, petites, moyennes, colorées, transparentes, par 2, par 3, par 6, etc ... "
Un vrai rêve de plastique, avec un aller direct pour le trash-vortex*.

* trash-vortex : Zône du centre de l'océan Pacifique où la concentration de déchets plastiques est si importante qu'on peut quasiment marcher dessus ... Jésus revient, cette fois on est prêt !

Une nouveauté : la boite " verte ", plus écologique car elle se voit moins à la surface.
Réutilisable à l'infini, elle ne se dégrade jamais, c'est mieux pour l'environnement.

Existe aussi en bleu ou avec des roulettes.

C'est vraiment passionnant ! " risqua poliment Bertrand à l'oreille ourlée de sa voisine;
" Et vous n'avez encore rien vu, attendez la suite ! " répondit Agnes T. avec un curieux sourire, elle leva le bras en claquant des doigts.

A ce signal, toutes les lumières s'étreignirent (pardon, s'éteignirent) d'un coup.
Le garçon pensa à une panne ou une brusque coupure de courant, cependant il n'y avait eu aucune protestation, ni cris, ni chuchotements.
Dans la salle enténèbrée, on entendait juste de légers froissements de tissus et de petits rires contenus.
La lumière revint tout aussi soudainement et Bertrand n'en crut pas ses yeux, les ménagères étaient encore là mais elles étaient maintenant toutes nues et formaient autour du Lapin.Blanc.Rapide un infranchissable cercle de chairs palpitantes.


Bertrand comprit qu'il était tombé dans un piège : ce paisible séminaire consummériste servait de camouflage à l'assemblée hebdomadaire des nymphomanes locales.
Et il était au milieu de ces furies !
Une muraille de chairs tièdes et agités se dressait entre lui et le monde extérieur où il avait encore tant de choses à voir ... et à faire.
Il tenta désespérément de changer de sujet :
" Mesdames, mesdemoiselles, distinguées tartassonnaises, je ... je tenais à vous remercier pour votre acceuil si ... si chaleureux ; maintenant après cette charmante soirée, je vais devoir prendre congé ... "

Un brusque éclat de rire général et nerveux lui répondit.
La température était montée d'un coup et cela sentait la femme, fort.
D'habitude il aimait bien mais dans cette ancienne crypte aux murs si épais, l'odeur s'était trop con-centrée, mélée aux différents parfums, eaux de toilette et autres sent-bon-marché, elle en devenait épaisse, lourde, palpable ... allez, disons suffocante.
Et justement, Bertrand suffoquait, le cercle charnel se resserrant de plus en plus.

Le mouvant anneau s'entrouvrit alors, le temps d'un éclair à la vanille.

Agnes T. en costume d'Eve comme ses soeurs s'avança vers lui, ses petites lèvres humides et le regard braqué fixement sur son entrejambe (pas la sienne, celle du garçon).

A ce moment ô combien délicat, le jeune homme eût le bon réflexe*, il saisit son extincteur enrubanné, en dirigea l'enbout vers la jeune femme en appuyant fort sur la manette :
" Pschhh, pschhh ! ", en quelques secondes l'impatiente nymphomane fût congelée* sous une épaisse couche de neige carbonique glacée.

* congelée : Con gelé serait aussi correct.

Leur chef neutalisée, la désorganisation devint totale chez les nymphomanes qui couraient dans tout les sens.
Bertrand recula lentement vers la porte, en tenant toujours les femmes en respect, il s'empara du trousseau de clefs des champs qui y pendouillait, sortit prestement avant de vite refermer derrière lui, et de filer coulos par les ruelles pavées.
Des hurlements dépités, des cris de colère,et d'affreuses insultes lui parvenaient de derrière la lourde porte.
" Ouf, je l'ai échappé belle, il ne me restait presque plus de mousse ... je pensais qu'on ne voyait des choses pareilles que dans les bons films d'un mauvais genre ! "

* réflexe : Pas vraiment car il s'était fort opportunément souvenu d'une aventure de Pelduman qu'il lisait dans sa jeunesse où son héros préféré avait déjà neutralisé toute une bande de nymphomanes avec son fameux éjaculateur.


Quelques minutes plus tard les tours de Tartassonne se profilaient à l'horizon de nouveau, mais derrière lui

Trois petites tours et puis s'en vont, patapon.

. A perte de vue dans la vallée, des supperwares géants à l'envers.
Pour la culture des tartassons, j'imagine.

Ce que Bertrand imaginait, calé derrière son volant, était bien différent.
Il se demandait ce qu'il serait advenu à sa petite personne s'il n'avait pu s'enfuir à temps.
L'auraient-elles mis en pièces et mangé tout cru ?
C'est idiot ... il prit son dictionnaire et regarda à nymphomanie :
" Exagération pathologique des désirs sexuels chez certaines femmes. "
Cela le rassura, mais ce que l'ouvrage ne disait pas c'était comment faire pour reconnaître une nymphomane d'une femme dite "normale ".
Lui il n'avait jamais su.

Le vent rend si fou les tartassons adultes qu'on doit alors les enfermer.

 

Aperçus

ATartassonne, l'heure c'est l'heure
Quand elle sonne
Le glaglas

 

 

 

 
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