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ELODIE
Le 3 avril à Font-de-Grume

A Font-de-Grume
le fond de l'air reste toujours frais grâce aux glaciers très environnants.
" A Foonnt-de-Grume on aiimme
vraiment les doos d'âne, ouf, c'était le dernier ! "
Il était enfin arriivvé (encore un !) à bon port.
De pêche* miraculeuse espérait-il.
* pêche : A la
foufoune bien sûr !
Des groupes composites en peignoirs
et serviettes sur la tête se hâtaient sur les esplanades.
Il était cinq heures de l'après-midi et la petite ville de cure* baignait
toujours dans une brume tenace.
* cure : On y soigne à
peu près tout sauf la mort et les risques d'incendie, d'où sa présence.
Avec tous ces gens pieds nus
qui semblaient sortir de leur lit, on se aurait cru dans à un gigantesque
marivaudage collectif avec cocufiage en série illimitée.
Mais ne nous y fions (Ah, ah !) pas, cette intense " activité (?) " est
irès ponctuelle, le reste du temps (et Dieu sait s'il en reste), tout
le reste du temps, disons-le : on s'emmerde*.
* emmerde : Vous êtes grossier
là ?
Peut-être, mais j'aurais du mal à le dire autrement.
C'est de loin la principale
activité de ces lieux d'aisance relative.
Alors on organise des distractions (histoire de faire baisser le taux
de suicide) la journée et des spectacles en soirée.
Ce soir c'est jeudi, donc c'est musique.
" Chic ! " se dit Lapin.Blanc.Rapide qui a les oreilles pour ça.
Il était juste devant l'affiche :
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Jeudi
3 Avril
à l'abbatiale de Font-de-Grume
Concert baroque
" Les Dindes Galantes "
par les Folies Versaillaises
Opéra
bouffe
sous la direction de Vincent Dandi
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" Du bas-rock*, je connais
pas, sans doute tendance punk, ou glamour*, avec des noms pareils !
Opéra bouffe... et en plus ils font à manger !
Raisons de plus pour y aller ! "
* bas-rock : Il avait cru
à une faute d'ortaugrafe, excusez-le, et rassurez-vous, il n'est pas tout
le temps comme ça.
Si le bas-rock
n'existe pas, le haut-rock existait avant d'être anéanti par nos soins
répétés et attentifs.
* glamour : Toujours.

Et de foncer à l'abbatiale
où il s'attendait à trouver une idiote et juvénile l'agitation.
Il en fut pour ses frais de route.
Bertrand découvrit une murmurante et tranquille assemblée où dominaient
largement les cheveux blancs et les calvities bien avancées.
Il se retrouva perdu au milieu des grumeaux* à perte de vue.
* grumeaux : Habitants de
Font-de-Grume.
" Les jeunes sont peut-être
tous partis ?
Pourtant que la montagne est belle de nuit ... " se confiait le
garçon, absorbé dans la contemplation des hauts sommets pointus
entourant la cité balnéaire.
Lapin.Blanc.Rapide sortit ses deux grandes oreilles, l'oreille absolue
à droite, et l'oreille musicale à gauche.
Derrière lui on proteste faiblement :
" Le lapin, le lapin ! "
Serait-il devenu célèbre pendant son sommeil ?
Ah ! On dirait que ça s'agite dans le fond, les rideaux remuent.
Les Folies Versaillaises s'installent en toute discrétion.
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Quand il vit arriver leur chef,
baguette en main, Bertrand comprit (enfin !) enfin son erreur
Vincent Dandi était bel homme et il se laissa longuement applaudir.
Puis il nous tourna le dos
:
" Tac, tac, tac "
Trois petits coups de braguette
et en avant la petite musique de nuit.
Pas de larsens ou de cris stridents au programme, ni de roulements de
grosse caisse et de solos guitaristiques saturés auxquels ses tympans
étaient accoutumés.
Du coup, il avait l'impression de ne rien entendre.
Bertrand pensa partir mais pour bien pratiquer l'art de la fugue, il aurait
du déranger tout le monde.
Comme il est bien élevé il resta à sa place en toussotant discrètement,
pour ne pas se faire remarquer.
Il eut de suite son attention aimantée par une des musichiennes (pardon,
musiciennes !) qui le fascinait totalement par le mouvement souple, régulier
et sinueux de ses longs bras d'albâtre.
Le garçon ne voyait plus qu'une chose, son biceps rond, son coude harmonieux,
son avant-bras agile et son poignet gracile que prolongeait une main fine
et déliée aux doigts nerveux et précis.
Ce qui fait plusieurs choses.

Nertrand rêve
d'un rapt équestre foudroyant :
" Au violon celle que j'aime ! " et puis comme Zorro il disparaitrait
derrière les cactus... et puis il enlèverait enfin son masque ; soupirs.
Cette contemplation le plongea dans l'extase tout le temps du concert
qu'il aurait souhaité ne plus voir se terminer, ainsi que son ravissement
ondulatoire.

" A bras qu'à
da bras ! " il en parlait patois, ayant perdu son latin dans une bousculade.
Comme souvent chez les Lapins.Blancs.Rapides,
l'excitation se traduisit physiologiquement par une série d'éjaculations
peu abondantes mais répétées qui le secouèrent vivement sur sa chaise
pliante.
Il en était tout humide, à la fin de la prestation il ne se leva pas pour
applaudir, il préféra rester prostré ; à l'instar de son voisin qui lui
pleurait à chaudes larmes ....
Sur scène il se passait pourtant
des choses intéressantes : devenues très galantes les dindes affolaient
tous les dindons présents.
Avec leur truc en plumes.

Quand ce fût le bon moment, Bertrand cria très fort " Ah, bravo ! ", à
l'unisson.
Et non pas " A poil !
", comme dans le rock normal.
Personne ne siffla ou ne jeta de cannettes, c'était donc bel et bien terminé.
On présenta les musiciens, il apprit enfin le nom de celle qui lui avait
enchanté la flûte deux heures durant.
" Elodie Dandinette ... violon* !
* violon : Aux sanglots
longs qui percent mon coeur d'une longueur monotone.
La dame d'à coté lui demandant
poliment ce qu'il avait pensé de la musique, Bertrand hésita un peu avant
de répondre :
" Les cordes m'étranglent, surtout celles du piano, et les vents m'emportent
trop loin ... "
Les mélomanes alentour de tendre l'oreille, normal.
" Ces démolles allongées partout dans le contre-chant m'interpellent (du
gland ?) franchement ... mais sur la fin, pas assez de bièses folles à
mon goût raffiné ... "
" Et surtout pas assez chaudes ! " confirma en gloussant la chef de choeur
des Dindes Galantes, toujours emplumée, qui passait par là entre deux
folles versaillaises "
... mais j'aime beaucoup ce rut majeur, c'est LE nouveau mode ! " crut
bon d'ajouter Bertrand.
Sur la pile.
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La dinde de tout à l'heure
repassait, de son oeil mobile, perçant et attentif elle fixa Bertrand
lui demendant s'il allait aussi à la soirée qui suivrait le concert.
Le garçon regardait ce grand volatile encore maquillé, c'est lui
qui avait la chair de poule.
Alors, l'aile ou la cuisse ?
La chanteuse en battant des ailes lui indiqua l'endroit en lui précisant
bien :
" Mais attention, il faut être déguisé, sinon on n'entre pas, ça
va être du délire ! "
Elle le picora plusieurs fois avant de filet en tortillant du croupion.
" Beau spécimen ! " et il s'y connaissait en dindes, en galanterie
je ne sais pas.
Il faudrait leur demander
... en voici une justement qui passe en courant poursuivie par le
lapin blanc dont les belles oreilles rougissent tant il est excité
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Se déguiser d'accord, mais
en quoi ?
Bertrand n'avait pas le temps de se compliquer la vie : il se déguiserait
en curiste.
Trop fun.
La panoplie fut facile
à trouver dans l'établissement thermal de l'autre côté de la rue.
Son butin : un peignoir orange, une serviette, une paire d'espadrilles
violettes à pompons et de toutes petites lunettes bleues teintées
anti-U.V.
En super-curiste ce serait
mieux !
Plus fun.
Avec un spray* rouge, il inscrit au pochoir les initiales S - C
(Super-Curiste) dans le dos du peignoir et sur la serviette.
* spray : Il a toujours
tout ce qu'il faut sur lui ?
Toujours, sinon l'histoire capote* assez vite, ou s'embourbe dans
les complications.
Ce sont souvent ces petits détails qui rendent la vie réelle si
compliquée.
* capote : Il serait
temps ! Les plus vieux modèles retrouvés sont en glaise ; après
c'est l'âge du bronze et ça ne rigole plus, ou moins.
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Il essaye aussi sur les espadrilles
mais là, ça ne tient pas, ça fait juste dégueulasse.
De nouveau il s'observe :
" C'est pas mal mais pour un Super-Curiste, il n'est pas assez bien équipé
! "
Avec un rouleau vide de il se façonna une virilité plus qu'avantageuse,
chevaline.
" Méga-fun, de profil c'est bien mieux ; Super-Curiste est enfin prêt
! "
Il eut quand-même un moment de doute se demandant si ces gens, qu'il ne
connaissait ni des lèvres, ni du gland, allaient apprécier son déguisement
à sa juste valeur symbolique.
" Dans ce genre de soirées tout est permis! " se rassure t'il.
" Super-Curiste
" ne crie pas la foule.
Il se passe vite sous la douche
et sans s'essuyer, descend prendre un taxi car la fête est assez loin.
A l'arrivée son étonnement ne fit que croître, sans embellir pour autant
la réalité.
Il y avait beaucoup de monde certes, de la musique à boire, de la musique
à manger, mais personne n'était déguisé.
Sauf lui !
Quelle déception (pardon, quelle réception !)
Réflexions croisées
volatiles
Gallinacé* a
:
" J'aimerais bien te voir. On devrait parler tous les deux . "
Gallinacé b :
" Regarde-moi dans les yeux et cesse de m'éviter.
Tu sais que ce n'est pas ce que tu veux.. "
Les autres :
" Cot, cot, cot ... "
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* Gallinacé : Les poulets
sont identifiés par des lettres pour éviter de les confondre, et savoir
qui dit quoi.
La précision, la cohérence et la logique restant nos priorités adroites
(et souvent des passages protégés) contre les raisonnables intempéries.
Ici rêgnait le bon goût, la
retenue et les convenances dans une atmosphère parisienne subtilement
méprisante.
Comme con-venu, le taxi était reparti ; il aurait du se méfier de cette
pintade ...
" Bon, j'y suis, j'y reste comme dirait Mac Donald Duck.! "
Aux uns il tenta habilement de se présenter comme une simple victime de
sa distraction :
étant très en retard il aurait juste oublié de s'habiller.
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Aux autres ils ne pouvaient
rien dire car ils lui tournaient le dos illico.
Les femmes levaient les yeux en le croisant, il regrettait amèrement
cet appendice surdimentionné qui était pour beaucoup dans le rejet
qu'il sentait autour de lui.
Les femmes levaient les yeux en le croisant, il regrettait amèrement
cet appendice surdimentionné qui était pour beaucoup dans le rejet
qu'il sentait autour de lui.
A un moment il vit sa silhouette de profil projetée très agrandie
sur un mur par la lumière d'un projecteur, c'était effrayant et
complètement théâtral.
Le bandeur nocturne était
de retour dans le sud-ouest, vingt ans après ... comme la grippe
aviaire !
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Une autre personne fixait
comme fascinée l'ombre portée, Chanteclair* lui-même, Super-Choriste
en personne, son plus redoutable concurrent passait en cocoricotant
et en secouant la crète.
N'empêche, il était impressionné, le lapin déguisé avait marqué
des points.
* Chanteclair : Chanteur
de charme, quand il l'ouvre, les cailles lui tombent toutes rôties
dans le bec, sur le canapé et les cylindres en V.
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Bertrand ne voulait pas croiser
Super-Coq qui ne manquerait pas de le défier, il hésitait, tournant ses
regards (et son gros zob factice) en tout sens à la recherche d'un petit
bonheur perdu dans la foule désordonnée.
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Super-Curiste se dirigea
vers le buffet, celui-ci croulait sous les produits régionaux résolument
authentiques, sortis du terroir de droite.
Pris d'une vraie fringale,
le garçon se mit à bouffer (il n'y a pas d'autre mot) tant et plus.
Comme un romain de la décadence, il engloutit tout : la tradition,
le raffinement, les bonnes manières, les vraies valeurs, l'honneur
et jusqu'au sens de la mesure.
Entre deux hoquets, notre mâle mal élevé aperçut Elodie et la dinde
traîtresse qui picoraient des petits-fours au milieu d'autres oies
blanches en train de se gaver, il mit sa barre à droite et se précipite
vers elles.
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A partir de ce moment
les évènements s'accélérèrent tellement que nous avons peine à les
relater, sinon en mode - lecture rapide -
Mieux, nous allons suivre
l'action directement sur la partition (nous sommes en rut majeur,
rappelons-le.
Nous vous donnons la clef, laissez-la sous le paillasson en partant.
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Présentation des principaux
personnages E pour Elodie, S.C pour Super-Curiste, D pour dinde, V pour
Vincent Dandi, D.C pour double-coq

Ouverture Elodie
et la vilaine dinde : Duo sur canapés au saumon, pianissimo.
- Bertrand se rapproche des deux filles en roucoulant comme un pigeon
lobotomisé.

Lentano ma sano. - A sa vue
basse, les demoiselles se sauvent en criant très normalement :
" Au secours, un satyre ! "
Elles vont vite car elles sont élévées en plein air.

Fortississimo. - Lapin.Blanc.Rapide
se lance à leur poursuite, petit problème, elles se séparent.
- Bertrand se sépare donc aussi : le gentil court après Elodie la poulette,
le méchant après l'oiseau de malheur.
- La violoniste effarouchée
se réfugie auprés de son père, Vincent Dandi (la Dandinette, c'est elle)
qui la couve de suite en gloussant, c'est l'instinct qui parle.
Ecoutons-le bien car l'action va de plus en plus vite.
Cocorico furioso.
Les autres coqs grumelois se regardent étonnés avant de sortir du poulailler
encore tout endormis.

- Super-Curiste vole dans les
plumes de la dinde froide et la couvre de suite malgré ses véhémentes
et ordurières protestations.
Quel vocabulaire !
Elle en a le plein gésier ...
Vanfanculo, ma non troppo.

- Cris de colère, plumes qui
volent, yeux furibonds ... c'est déjà* fini, la volaille toute retournée
s'ébroue et court rejoindre le service d'ordre.
La blanche pointée appelle au secours.
O sole mio.
* déjà : Serait-ce ce que
l'on appelle - un coup de foudre - ?

Choeur
Tout le monde se met
à hurler en même temps, c'est pas facile à comprendre.
Collissimo (pardon, connissimo) et quasi modo.
La basse-cour est en émoi profond, les autres dindes se perchent,
par précautions, les oies deviennent toutes blanches et les canards
coureurs foncent se mettre à l'abri dans un bon coin, coin, coin,
coin !
On parle partout de Super-Curiste mais pas en bien, bien, bien,
bien ...
Stop !
Assez de vibrato, bon sang et plus de vibro, ma soeur !
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- Coco et Rico, deux gros coqs
à oreillettes intégrées surgissent et prennent Bertrand chacun sous une
aile avant de le traîner vers la sortie.
Furioso.
" Il y a longtemps que je pète, jamais je ne t'oublierai ! " proteste
le garçon, en passant devant Elodie toute tremblante ; joignant alors
les mains, la jeune fille lance à la fesse du monde d'une voix vibrante
(mais un peu brisée par tant d'émotion) :
" Il y a longtemps que je t'aime, ça commence vraiment à puer ! "
- Bertrand ne peut se décider à quitter la jeune musicienne même des yeux,
il la couvre alors du regard.
Le garçon lui attribue vite le label - Ah la belle poulette ! - qu'il
n'a pas le temps de remettre à la lauréate car sur un signe du rubicond
papa chef d'orchestre, les deux gallinacés mercenaires à crètes rouges
et barbillons de sécurité emmènent notre amoureux vers son destin tout
désigné d'un ergot paternel et vengeur :
OUT !

Final (molto mollo allegro)
Lapin.Blanc.Rapide est expulsé comme un vulgaire renard (un comble) du
céleste poulailler.
La musicale basse-cour vit beaucoup mieux sans lui.
Elodie se console avec double-coq
et Vincent Dandi envisage sérieusement de farcir la dinde.
Rideau !
Celui-ci tombe d'ailleurs lourdement, il est tout rouge de confusion.
Nous venons de vivre une vraie
tragédie.
Heureusement qu'elle n'est pas vraie.
Si vous voulez de vraies tragédies, regardez partout ailleurs.
Profitant une dernière fois de ses supers pouvoirs, Super-Curiste rentre
rapidement à son hôtel.
De retour dans sa petite chambre, il redevient Bertrand qui regarde le
C.D du bas-rock en dentelles, relisant tout haut la dédicace de la violoniste
:
" Au gentil lapin blanc cette mélodie d'Elodie ... "
Pas gentil, rapide ... elle ne s'était pas foulée le poignet !
Il écoute en boucle l'enregistrement afin de prolonger sa sensation ravie
(même si l'habitude l'émousse, et il le sait).
Le garçon est triste
et comme les chants désespérés sont toujours les plus beaux; il
en profite pour prendre sa lyre à une corde et improviser une ode
déchirante* :
" Ah, divine instrumentiste, que n'as tu pu jouer de mon pipeau
magique, tu en aurais tiré d' extraordinaires airs, des notes barbares
ou des sons inexpliqués ! "
* déchirante : Qui
déchire.
Voilà ce que Bertrand
aurait pu déclamer s'il était un (mauvais) poète.
Afin de célébrer en chanson sa jolie versaillaise* ...
Un bon poète aurait juste gémi " Lacrymosa ! ".
Ou géni (si ça existe).
* versaillaise :
El les marseillaises peu chères, célébrons-les aussi !
Une prochaine fois.
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Lapin.Blanc.Rapide
a finalement plus d'une corde à son violon,
une main fiévreuse et un bon coup d'archet, il ferait un gendre
parfait.
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Aperçus
A Font-de-Grume
Beaucoup de faux légumes
Mais seulement deux saisons
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