|
PIERRETTE
UN PEU BEAUCOUP
Le 26 avril à Fouillac


|
Rubrique - Ma vie
à deux -
(extraits)
Pierrette est sujette
à de terribles (parce que continuelles) crises de jalousie.
On se demande vraiment pourquoi ?
Voix off
Pierrette :
" Alors c'est qui celle qui te tire la langue, Madame de Sévigné
? "
Bertrand :
" Euh, non, juste une amie d'enfance, une copine de classe* ...
c'est incroyable de se retrouver ici, à Fouillac ! "
Elle :
" Chéri, me prendrais-tu pour une conne ? "
Lui :
" Love me tendeur, love me trou ... "
* classe : La classe
en question pendant les longues vacances d'été, Bertrand est en
haut à droite, tous les autres garçons ayant successivement disparus
pendant l'idyllique séjour.
|
Ce matin il faisait un
temps magnifique, éminemment printanier.
Les vaches ruminaient déjà en ne le regardant pas passer.
" Alors ça mâche ! " leur cria t'il .
" Et l'on entend dans
les champs se masturber les éléphants ... "
Bertrand chantonnait dans sa voiturette toute neuve quand soudain
les véhicules devant lui freinèrent brusquement
|
Le
début de tous ses problèmes circulatoires
|
|
...
" Non, un embouteillage à Fouillac, it's impossible ! "
En effet, ce n'était
pas un embouteillage qui gênait la circulation mais des tas de de
gravats encombrant la chaussée, les bagnoles passaient tant bien
que mal en contournant la barricade improvisée où brûlaient quelques
pneus que surmontait une grande banderolle.
" Sûrement des gens mécontents,
il y en a tellement ... " se dit Bertrand avec sa légendaire décontraction,
son jemenfoutisme militant.
|
Mais quand il
vit le texte du manifeste, il faillit aller directement dans le fossé.
Sur la toile blanche on pouvait lire, tracé à la hâte en grosses lettres
rouges :
" Paul, dîtes à Hubert de me contacter, c'est très, très, très urgent.
Pierrette "
" C'est pas vrai ... " rageait Lapin.Blanc.rapide en frottant ses incisives
(ce qui produisait un son suraigu hyper-désagréable)
" Pierrette est dans les parages, filons vite ! " et il accéléra à fond,
pas longtemps car un nouveau barrage, officiel celui-là, empêchait de
nouveau la libre circulation des hommes à quatre roues (les idées circulent
autrement).
C'était des gendarmes contrôlant les véhicules au rond-point qui donnait
accès à Fouillac.
Bertrand rejoint le flux qui tournait lentement avec discipline sous les
regards sourcilleux et inquisiteurs des représentants de la loi.
Comme il n'avait jamais la conscience tranquille, il gardait les yeux
précautionneusement baissés quand une silhouette familière le fit sursauter
:
" Justine ! "
C'était bien elle, toujours impeccable et pomponnée dans l'exercice de
ses fonctions, de surprise et de joie, il emboutit la voiture qui le précédait.
Au bruit de la tôle tordue et pliée*, un des collègues de Justine s'approcha
soupçonneux :
" Vous faites vraiment n'importe quoi ! " gronda t'il, entre temps, Justine
était venue l'air furieuse en disant qu'elle s'occuperait du cas de ce
chauffard.
* pliée : Mais
pas froissée pour autant, la ferraille ça n'a pas de fierté.
Ils n'avaient
pas beaucoup de temps, juste celui de se saluer et de se rappeler à leurs
bons souvenirs foulousains, Justine lui apprit qu'ils enquètaient sur
la (ou les) personnes qui établissaient ces barricades improvisées tout
autour de Fouillac.
On recherchait une tractopelle jaune, dernier modèle Dugland, ainsi qu'un
individu suspect un certain Hubert-Connaisseur* de la Chatte, sans doute
un espion dont elle lui montra le portrait-robot.
A sa vue, Bertrand fût rassuré, on ne risquait pas de le reconnaître.
* Connaisseur
: Une erreur de transmission; ça arrive même aux meilleurs.

Le double rond-point,
une invention fouillacoise inspirée par la nature, on passe doucement
de l'un à l'autre sans trop y réfléchir ; et on en oublie de chercher
la sortie.
Les ronds-points comme les femmes aiment qu'on leur tourne autour mais
la circumambulation n'est pas tout !
Un baise-main
discret par la vitre entrouverte, un décolleté entrevu et Bertrand reprenait
la route enfin libre dans sa voiture déglinguée.
Il avait décidé d'éviter Fouillac (on le comprend !) et emprunta la bretelle
du contournement.
Pour bien le suivre, regardez le plan ci-contre, accrochez-vous, ça tourne
en permanence.
En vert, vous y distinguerez les ronds-points déjà existants, en rouge,
les ronds-points en constructions, en violet, les ronds-points d'un futur
proche.
|
D'ailleurs si nous pouvions
nous permettre une petite digression sur ces pratiques et excitantes
bretelles*, cela nous changerait des tristes lignes blanches.
En tant que G.P.S* responsable nous avons aussi indiqué à droite
et en orange les différents radars et en noir :
les fameux barrages.
C'est indiscutablement un bon plan, alors bonne route en chantier
et bons flashs !
* G.P.S : Grande Personne
Sensible.
|
* bretelles
: De soutien-gorge of course, noires, rouges, mauves, roses ou transparentes,
il aime à les emprunter pour d'affolants contournements, de fulgurants
raccourcis ou d'imprévisibles déviations, toutes en dentelles.
C'est ce qu'il
fit donc car si on a plus le droit de téléphoner en roulant, on a encore
celui de digresser.
Le garçon avançait tout doucement, tant à cause de l'état de son véhicule
que par crainte d'un nouveau contrôle policier.

Eviter Fouillac
à tout prix.
Un autre ralentissement
se fit sentir dans les freins à disque.
" Attention travaux ", le triangulaire panneau était explicite, on construisait
un magnifique rond-point juste à l'entrée de Fouillac.
" Encore un, c'est déjà le sixième en trois kilomètres ... et ici, il
n'y a qu'une seule route, alors à quoi bon* ?
* bon : C'est
bon en tout cas pour les finances de monsieur Granderoux, gendre de l'actuel
maire et grand constructeur de ronds-points à quatre voix (quelle polyphonie
routière !).
On en comptait
pas moins de 27 sur le territoire de la commune et une douzaine supplémentaire
était en projet, le paysage de Fouillac en était tout bouleversé.

Ici on a
déjà fait le rond-point, on attent plus que la route.
Et la circulation
rendue si compliquée que les automobilistes évitaient cet indémêlable
noeud routier dont il ressortait avec le tournis.
Une nouvelle génération*
de rond-point est à l'étude : le rond-point numérique, vous et le
véhicule restez immobiles, c'est juste votre tête qui tourne.
Donc vous économisez l'énergie et vous pourrez ainsi enfin déposer
votre bilan-carbone.
* génération : Génération
dite "escargot ", elle creuse des fossés virtuels.
|
|
" Oui mais
ça crée des emplois ! " argumentait monsieur Pitroiquatorze, premier magistrat
de la commune dont effectivement toute la famille très élargie travaillait
à l'édification de ce monde désespérément rond.
Les pieds dans le goudron chaud, une poignée d'immigrés en tenue fluo
donnait au rêve circulaire un début de réalité.
Le mouvement
basique du rond-point est circulaire (comme un essore-salade).
Mais il serait peut-être temps de s'interroger sur son sens : tristement
centrifuge ou centripète de joie ?
Ouvert ou fermé ?

C'est important de le savoir si on ne veut pas tourner en bourrique*.
Plusieurs de ces ronds-points* à la suite font une bonne piste de karting,
il ne manque que le drapeau à damiers (mais ne chicanons pas).
* ronds-points
: Les points carrés font simplement une ligne.
* bourrique
: Rappelons que l'âne n'accepte de tourner sans fin que si on lui tape
dessus.
A force de tourner
sur lui-même, Bertrand ne savait plus du tout où il était, une portion
de ligne droite bienvenue lui permit de retrouver sa sérénité.
Pas pour longtemps car un nouvel obstacle s'annonçait 3OO mètres plus
loin, les voitures n'avançaient plus, encore immobilisées.
Les mains crispées sur son volant Bertrand se préparait au pire.
Ouf, ce n'était que des paysans mécontents ... ils déversaient sur la
départementale du haut de leurs charettes d'inutiles surplus subventionnés,
la transformant en une énorme ratatouille multicolore.
Bertrand leur fit des petits gestes amicaux et des sourires complices*:
" Bravo les gars, je suis avec vous, il n'y a qu'à tout balancer .. .
à Bruxelles ! " cria t'il à son passage au ralenti.
" A bruxelles, à Bruxelles ... " répondirent en choeur les exploités agricoles
en lui faisant le signe de la victoire.
* complices
: Ce n'était pas totalement hypocrite de sa part car son papa était paysan,
son grand-père aussi et ce depuis X générations, il se sentait encore
solidaire de cette France rurale en perdition.
Ayant fait le
plein de courgettes et d'oignons frais, Bertrand aborda l'ultime rond-point
avant la campagne.

On baptise
les nouveaux ronds-points,
ici celui des Lettres Fouillacoises.
Au beau milieu du sens giratoire il dut stopper brusquement, des troncs
d'arbres coupés et des monceaux de terre recouvraient le bitume, et Pierrette
était là, en train d'accrocher un message géant tout pareil au précédent.
Cette fois Bertrand était vraiment hors de lui, il fit plusieurs girations
en hurlant :
" Je ne suis pas Hubert, ni Paul, je suis Bertrand Biquet, Lapin.Blanc.Rapide,
je ne suis pas un héros, ni un espion, je vends des extincteurs pour une
société qui m'exploite très normalement, ... j'ai même donné mon sang
(une fois) et ... et tout mon corps à la science plus tard ... alors foutez-moi
la paix ... and don't follow me, never ... please ! "
On crut à l'arrivée
d'un cirque mais Pierrette l'avait de suite reconnu, elle lui envoya de
nombreux baisers de sa main libre (de l'autre, elle tenait son gros pinceau
dégoulinant de peinture rouge).
Le mauve lui allait toujours aussi bien, ses yeux brillaient et elle semblait
complètement ravie de le revoir.
Le concert de klaxons ne l'empêcha pas de lire sur ces lèvres roses les
mots fatidiques : " Je t'aime ! "
" Damned, elle est amoureuse, nous voila frais ! "
. 
|
|
Réflexions croisées
:
W.S.R
:
" Tu peux m'appeler mon lapin, tu sais ! "
Pierrette :
" Ce n'est pas possible ... "
Le
rond-point de l'amour.
|
Sans s'en rendre
compte il s'était presque arrêté, provoquant un vrai carambolage en série,
quand il sortit enfin du tourniquet, sa voiture de location nickel n'était
plus qu'une pauvre épave qu'il abandonna bientôt sur le bas-coté.
Il dirait que c'était ce salaud d'Hubert qui lui avait volée, ainsi ce
Connaisseur de la Chatte (Ah, ah, ah !) servirait enfin à quelque chose.
Débarrassé de son tas de tôle ambulant, Bertrand se sentit mieux et vagabonda
un moment dans la garrigue au milieu du thym et du romarin, il arriva
à un inquiétant carrefour.
Un ronflement
de moteur lui fit lever le nez (vieille habitude hitchcockienne),
un avion passait bas en traînant un message, machinalemend Bertrand
le lut et son sang se glaça dans ses veines apparentes.
" Paul, répondez-moi ou bien prévenez Hubert, absolument. Pierrette
" s'affichait en plein ciel, suivi d'un petit nuage rose. |
|
Le garçon
desserra son noeud, de cravate, et, paniqué, se mit à courir vers
le champ de maïs le plus proche pour s'y cacher.
Il y resta jusqu'au soir, heureusement sans être traité (ni bien,
ni mal) et en essortit couvert de barbes.
Songeur, le garçon grignotait un oignon en regardant le soir tomber
sur Fouillac. |
Puis il fit de
l'auto-stop jusqu'à Commédon où il arriva au milieu de la nuit.
Tel un zombie français, Bertrand s'engouffra dans le premier hôtel venu
avant de se laisser tomber sur son lit comme une bouse, anéanti.
Il se réveilla
dans la même position, le soleil était déjà chaud et seule son habituelle
érection matinale lui protégeait le visage de l'ardeur des rayons
traversant les vitres pas nettes.
Pendant qu'il était encore à l'ombre, Lapin.Blanc.Rapide réfléchissait
:
" Cette Pierrette a du caractère ... et de l'obstination, en plus
elle connaît maintenant mes habitudes et mes fausses identités, il
me faut trouver une toute nouvelle apparence. "
Au dessus de son mat de cocagne l'astre du jour pointait, une douce
lumière envahit la pièce. |
|
Son regard gris-bleu
s'illumina soudain, une idée formidable lui était venue.
Bertrand se releva d'un bond léger, de nouveau alerte.
|
Aperçus
A Fouillac,
à Fouillac, à Fouillac
Ralentisseurs et dos d'Anne
Ralentis frère !
|
|
|