LES MINERAUX

La cristallisation (2)

CINQUIEME EPISODE   Résumé du précédent le cristal vert a enfin pût être déplacé mais il n'est pas allé bien loin ... L'encombrant minéral couleur de l'espérance est posé à l'entrée d'une vénérable grange de bois sec dont il gêne considérablement l'accès. Profitons-en pour bien le regarder.

Son faciès est prismatique, sans plus, pyramidé et constitué de deux scalnoèdres associés selon un plan de symétrie facilement repérable.
Il s'agit d'une forme de macle assez rare appelé " macle du Derbyshire ".
Jusque là rien d'extraordinaire si ce n'était que ce cet encombrant cristal est la réincarnation d'un personnage que nous avions trop vite oublié, Maître Vibro (relire les premiers épisodes ne fera pas de mal).
Désespéré des refus d'Anne Masseur et de ses fuites, l'ex-notaire avait mis fin à ses jours fériés et donc pris ses dernières vacances près de Meximieux car " Meximieux, c'est maxi-mieux ! " comme le proclament les désopliants touristiques.
Victime d'un glissement de ses reins, il finit donc sa première existence le cul par terre.
Mais il avait droit à une seconde chance et pour sa nouvelle vie eut le choix entre un colimaçon, un coelacanthe ou un cristal.
Il choisit ce dernier pour une raison précise :
" Même avec un faciès pseudo-cubique, ça m'est égal car le clivage suivant, ce pinacoï permet de ne pas attribuer l'apophyllite au système cubique, justement ! "
On comprend mieux, mais la vraie raison de son obstinée présence c'est la mignonne petite souris du premier plan.
Le rongeur étant lui (ou plutôt, elle) même la victime d'un charme puissant.

En fait il s'agit d'une princesse d'origine persane, Diladi dont nous aurons à reparler.
" Voilà qui ne va pas faciliter notre union mystique ! " soupire Maître Vibro qui n'a vraiment pas de chance en amour.
Surtout avec les gros matous qui rôdent dans la pénombre du bâtiment agricole.

SIXIEME EPISODE   Résumé du précédent L'union mystique de Maître Vibro et de la princesse Diladi ayant normalement échouée sur un banc de pierre plate, ils se séparèrent. Le Maître ayant repris sa forme première remonta une rivière qui passait par là. Par amour de l'eau, pour soigner sa mélancolie ou par simple désoeuvrement ? Peu importe.

Devant l'entrée on pouvait encore lire sur la vieille enseigne :
" Aux mille sabords du Rhône ".
De l'intérieur de la taverne lui parvenait des échos de voix fortes et avinées, c'était un repaire de pirates à n'en point douter.
Réunis autour d'une vacillante table de camping, quatre individus louches discutaient vivement à la faible lueur d'une lanterne post-moderne.
Il y avaiy là Jean Culle (le grand philosophe) ex-intellectuel maoiste reconverti dans le moyen banditisme, Asthmatic-Man dont les glaires empoisonnés semaient partout la terreur, le cruel Denion de Lyon dont on disait qu'il coupait tous les nez dépassant le sien (ce qui heureusement est peu fréquent) et Peldugland, le cerveau reptilien de la bande et son fameux éjaculateur rose dont il ne séparait jamais.

A l'évidence, le sinistre quatuor préparait un mauvais coup mais il ne savait pas lequel.

L'ambiance était tendue, électrique car les affaires flibustières n'allaient pas fort cette année.
Au cours des trois derniers mois, la bande des quatre n'avait pût s'emparer que de deux misérables péniches (une de sable, une de sel) plus un vieux radeau plein de méduses sêches.
Pas le moindre plaisancier à l'horizon et nos malfrats rêvaient d'un joli bateau-mouche tout illuminé rempli de paisibles et fort thunés touristes bons à détrousser.
" Et à trousser aussi ! " ajouta égrillard Denion de Lyon.
" La concurrence nous fait beaucoup de tort ! " soupira Asthmatic-Man entre deux quintes
" Et le tort tue, surtout chez les pirates des Caraibes ! " conclut Peldugland en tapant très fort sur la table avec son éjaculateur ce qui aspergea copieusement ses voisins.
" A l'évidence, ils ont besoin d'un chef ! " se disait Maître Vibro de derrière la vitre cassée.

SEPTIEME EPISODE Résumé du précédent Tandis que Maître Vibro s'endormait dans les roseaux, que devenait cette chair (pardon, cette chère) Diladi ? En vérité, ça n'allait pas fort pour la princesse. Et même pas bien du tout. Diladi était pleine de boutons, des gros, ldes petits, des bleus, des roses ... D'éminents spécialistes incriminèrent successivement la nourriture, les acariens, le manque d'amour ou l'arrivée d'air chaud*. * chaud : Sans doute causé par l'e-névitable réchauffement climatique.

Tout cela la fit déménager encore une fois, c'était son destin de changer toujours de place.
Mais cette fille n'avait décidemment pas de chance, à peine ses valises ouvertes que les premières déflagrations se firent entendre.
En quelques jours la paisible cité d'Aifondremand fût totalement dévastée ; des " boules de feu " tombaient du ciel en éventrant les vénérables maisons de pierre en mettant brutalement au jour de coquets intérieurs aux tons pastels et aux poutres vraiment apparentes cette fois.
Providence pour les curieux et les indiscrets, les nombreux trous laissaient entrevoir les pauvres aifondremandins tremblant dans leurs cuisines désintégrées.
Processions, offrandes, prières, lamentations, sacrifices humains et animaux, rien n'y fit.
Les locataires et propriétaires enfin réunis criaient au milieu des ruines fumantes :
" C'est la fin du monde ! "

La fin du monde prévisible.

Les commentaires vont bon train, de nuit, car de jour c'est trop dangereux et même en se creusant la tête avec son stylo, personne n'a encore donner d'explications au phénomène.
Normal, sauf un expert en balistique pourrait le faire et les secrets militaires sont bien gardés, mieux que les vaches.
Mais nous, nous sommes trop bien informés et voila la solution de l'énigme :
lors de l'attaque américaine contre la Mésopotamie, un nombre faramineux de missiles furent tirés dans tout les sens, une bonne partie d'entre eux manquèrent leur cible et continuèrent leur errance avant de venir s'abattre sur la cité martyre.
Pourquoi ici ?

Il fallait bien qu'ils retombent quelque part suivant le principe dit " de la Grande Enculade ".

Les impacts se suivent mais ne se ressemblent pas.

" Alors quel effet ça vous fait d'être un dommage collatéral, même lointain ? " questionnait Roule-tabule pour l'Odieux-Visuel national.
" Oh, c'est rapide, ça fait BOUM et puis plus rien ... " répondait en état de choc, un des rares survivants, content quand même de passer à la télévision.

C'est ce qu'on appelle " la mondialisation " conclut Diladi au milieu des cartons et des gravats, elle n'avait plus qu'à rassembler ce qui restait de ses petites affaires.
" Un nouveau déménagement en perspective ! " confia t'elle en soupirant au chat de Perse, un compatriote en exil lui aussi mais sur un bon tapis.
La princesse poussa un cri persan (pardon, perçant) de désespoir : " Cette histoire ne finira donc jamais ! "

Malheureusement, pas tout de suite.

HUITIEME EPISODE Résumé du précédent Diladi a échappé miraculeusement à tout (pour l'instant), les pirates du Rhône avec Vibro* maintenant à leur tête ont décidé de changer de crêperie et de rivière à écumer, les voici maintenant sur les bords de la Marne. * Vibro : Devenu chef des malfrats, il a tout abandonné, son titre officiel, son honneur et tout sens de la mesure qui est à son comble. D'écluses en canaux, les forbans se retrouvent devant le monument* " Aux poilus " où seuls les chauves sourient. * monument : Curieuse sculpture tubulo-cristalline représentant Chanteclair, le coq gaulois se redressant après un pénible mois d'août.

Notre quintette de flibustiers eux, ne sont pas gais, pas l'ombre d'un trésor ici non plus.
Pourtant des plongeurs continuent de sonder avec obstination le fond de la rivière à la recherche de vestiges de la terrible bataille.

" Nonante ans après on trouve toujours des choses ! " leur dit un helvète amateur de souvenirs guerriers. Tout fier il leur montre alors le résultat des fouilles du week-end : - un casque à trois pointes (aussi rare qu'un trèfle à quatre feuilles) - une petite culotte de zouave bleu-horizon - une capote anglaise en cuir bouilli (touchant souvenir de l'entente cordiale) - le plus émouvant étant cette carte postale dédicacée envoyée par une marraine de guerre à son pioupiou préféré, en voici le texte reconstitué par nos soins : " Mon vaillant soldat, je t'envoie une photo de moi en corset rose avec des trous pour te soutenir le moral, j'y ai ajouté quelques huitres de ma propriété océane - Ta marraine d'Oléron "   Carte postale aux tirailleurs africains encore souriants.

Une vénérable relique.

Ces durs à cuire ne purent s'empêcher d'essuyer leurs yeux rougis devenus humides.

Pendant ce temps la Marne continuait de couler, le soleil tapait fort à cause du réchauffement climatique, c'était à l'évidence l'heure de la sieste.
Les pirates s'allongèrent en marcel à l'ombre de jeunes filles en pleurs (pardon, en fleurs).
Sauf Asthmatic-Man, toujours grelottant, qui se préparait une enième inhalation.
Vibro ne pouvait trouver le repos nulle part et il se mit à remuer lui aussi la vase tiède.
Soudain un cri de joie retentit (enfin !), Vibro venait de faire une jolie découverte, une boule d'acier de la taille d'une grosse pomme avec un petit anneau en laiton fixé au dessus.
Tout le monde se réunit rapidement autour de l'objet et du veinard quand soudain :
" BAOUUM "

Une fois la poussière et les débris retombés, il ne restait grand chose de Vibro, l'ex-notaire qui venait de terminer maladroitement une existence vouée à sa simple autosatisfaction, ce qui n'est pas beaucoup, vous en conviendrez.

" I can get know autosatisfaction ! " soupira Peldugland en guise d'oraison funèbre.

Et pourtant c'était une belle journée.

De nouveau les pirates étaient livrés à eux-mêmes, dans leur cas, il aurait mieux valu être livrés à la justice.
Comme ils étaient bien tristes et totalement découragés, Peldugland décida de leur raconter une petite histoire pour leur changer les idées noires comme leur fanion.

Toujours plus de cristal.