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Les génies
attirent du monde, c'est bien connu.
A force d'entendre dire partout
que les footballeurs sont des artistes, et pour bon nombre d'entre eux,
de véritables génies, le directeur en a tiré une conclusion :
" Faisons venir à la Fondation un de ces génies du ballon rond.
"
" Oui, oui ! fit Miss Clitorini enthousiaste en battant des mains,
je n'en ai encore jamais vue ! "
" Rassure-vous, nous non plus. " lui répondit sarcastiquement Octave
des Obres que les dérives directoriales inquiétaient de plus en plus ;
s'il le pouvait, il organiserait volontiers un coup d'état, à l'ancienne.
Peldugland suggéra assez perfidement :
" Et pour bien prouver que les footballeurs sont des artistes, demandons
à chacun de dessiner un ballon. "
" Sans oublier de le signer ! " insista bien notre intéressé dirigeable
(pardon, dirigeant).
Cette proposition plastichienne était un piège, les résultats le prouvent
assez.

Maintenant que nous savons
à quoi nous en tenir sur les artisteries des stars du crampon, penchons-nous
sur leur supposée génialité.
Quelle suppositoire (pardon, supposition) !
Pour l'illustrer il nous faut un exemple : prenons au hasard Bernard
Dignaud.
Le dernier des " tecniciens de surface* " a construit toute sa carrière
sur le fait qu'on le confond, phonétiquement parlant, avec un brésilien,
donc, par définition et simple atavisme, un génie du ballon rond.
Ce joueur nous en fera sans tarder la démonstration, pour l'instant, il
s'échauffe avec Miss Clitorini.
* techniciens de surface
: De réparation, il préfère cependant les grandes surfaces, plus conviviales
mais où on se bouscule tout autant.
Il faut vite
installer la pelouse synthétique.

Puis accueillir un inhabituel
public, assez bruyant ; plus trois faux Pelé et un tondu retardataire
(à l'extrème droite).

La Fondation Gellipane est
plongée dans une demie-obscurité, un rond de lumière jaune se dessine
sur l'herbe verte fluorescente puis, au signal du directeur, on envoie
la musique : Bernard Dignaud fait son apparition, il n'a pas de numéro
sur son maillot*.
* numéro : Il n'en a pas
besoin car il n'entre en jeu que lors des matchs truqués pour faire perdre
son équipe.
Mais alors il
pèse lourd sur la physionomie du match qui tourne à la grimace.
Il commence par jongler avec 25 ballons multicolores pour bien s'essuyer
les crampons.

C'est juste
féérique.
Et après les principes, il
s'attaque aux figures.
- Pour commencer le fabuleux
" pincement de jambes " (votre adversaire ne s'en relèvera jamais et vous
non plus), il enchaîne avec une démontration de " passes aveugles ", un
geste simple consistant à envoyer le ballon n'importe où.

Aucune difficultés
techniques majeures pour lui, il distribue le jeu parfaitement au hasard.
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- Ratatatata - ah, un
roulement de tambour, Bernard Dignaud est déjà bien essouflé, on
a planté un grand poteau blanc, c'est donc le moment tant attendu
où l'artiste va nous présenter une figure de son invention :
l'incroyable " poteau rentrant " !
Et paf,
poteau rentrant !
Il en voit 36 ballons.
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" Un de
ces jours il va finir par se tuer... " s'inquiète sa maman.
Juste après s'être fait soigner sur un banc de touche-touche, Bernard
Dignaud nous expliqua la difficile genèse de sa création footballistique
:
" Je suis d'attaque devant les buts mais je sais par expérience
(ça compte !) que je ne pourrais jamais rattraper le ballon, alors
je fonce tout droit sur le poteau ce qui déroute le gardien adverse
et fait une agréable diversion. |
Les pauvres filets en tremblent
d'effroi, le goal, n'imaginant même pas qu'il s'agit d'une feinte, se
précipite pour me donner les premiers secours, le chemin du but est alors
grand ouvert. "
" En clair, vous vous sacrifiez pour l'équipe ? "
" Ce sont les consignes du cautche* qui préfère que je sorte le plus
rapidement possible. "
* cautche : Entraîneur en
auvergnat.
Après ça, le reste n'est que
routine, même les fameuses balles piquées ... et malheureusement quelques
balles perdues.
Pas pour tout le monde car il y a toujours quelqu'un pour les ramasser.
Bernard Dignaud nous
fait un véritable balai et Thierry en rit, ce n'est pas grave ; enfin
si, un peu.
" Il est génial ce Bernard Dignaud ! " s'enthousiasme Peldugland
en essuyant des larmes de joie.
" Ah, vous voyez bien ! " répond le directeur avec un grand sourire.
Comme toujours, c'est lui qui avait raison.
La cuillère, la louche, la fourchette, la bicyclette, la moulinette, le
casse-noisettes (sans les coquilles !), la cloche, le corner sortant,
les feuilles mortes, la feinte de l'oeil, le coup du lapin* et celui du
sombre Eros, tout y passe.
On entend siffler ses adducteurs depuis la route.
* lapin : Il faut juste
un peu de salade, le reste n'est que toucher de balles.

Bernard Dignaud finit habituellement
son exhibition par l'extraordinaire " tête plongeante ", en effet après
cette figure il est toujours bien content de regagner les vestiaires.
Même en zig-zag ou sur la civière.
Alors, génie ou pas ?
Le public a déja choisi, mais si !
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